Lorsqu’on vous parle de robe, vous pensez certainement avant tout à un vêtement féminin. Pourtant, à l’origine, la robe était portée indifféremment par les hommes et les femmes.
C'est au 14e siècle, sous l'influence du costume militaire et l'apparition d'une cuirasse s'arrêtant au-dessus des cuisses, que le vêtement masculin raccourcit et se distingue de celui de la femme. Seules certaines catégories de personnes que l'on nommera gens de « longue robe », tels le souverain, les hauts fonctionnaires, les magistrats ou le clergé, continueront alors de la porter, en faisant un signe distinctif de pouvoir.
Raconter l'histoire de la robe à travers les collections du Musée de la Vie wallonne, cela ne se fait pas en quelques mots. Si elle est devenue l'archétype de la féminité, son évolution traduit, au fil des siècles, celle du statut de la femme. Elle illustre le long combat que celle-ci a mené pour passer d'un vêtement qui l'entrave et masque son anatomie à une libération du corps, en même temps qu'une reconnaissance de ses droits.
Une révolution en entraînant une autre, la mode féminine sous le Directoire et l'Empire fait preuve d'une audace jamais égalée. D'un seul coup, la femme se débarrasse des contraintes et artifices en vogue au 18e siècle. Adieu tyranniques paniers, corsets, flots de rubans et coiffures semblables à des monuments imposés par Versailles. La robe n'est plus qu'un simplissime fourreau rectiligne, marquant la taille sous la poitrine et dévoilant impudiquement le corps au travers de légers linons et mousselines de coton transparents, le plus souvent de couleur blanche, anticomanie oblige.
Cependant, lorsque Napoléon Bonaparte est couronné empereur, les fastes du pouvoir reprennent rapidement leurs droits. Exigeant d'une part un retour à plus de sagesse, il prône néanmoins l'usage de lourds velours aux couleurs profondes et riches tissus brodés de métaux précieux, ranimant du même coup les industries textiles tout en proclamant le triomphe du régime impérial. Et si la robe conserve sa structure près du corps, la mode réhabilite le vêtement de dessous sous forme d'une petite brassière élastique et dissimule l'indécent décolleté sous des châles en cachemire dont c'est la grande vogue.
Sous la bien nommée Restauration, avec le retour de la monarchie, la bourgeoisie enrichie, grande bénéficiaire des progrès de l'industrialisation et du commerce toujours plus florissant, mène la danse. Répondant à un désir de commodité comme de respectabilité, la femme retrouve son image traditionnelle et son rôle d'épouse dévouée.
La silhouette féminine se transforme alors radicalement. La taille redescend à sa place sous un corsage à épaules tombantes et rend sa légitimité au corset dont l'effet « taille de guêpe » est renforcé par l'ampleur excessive des manches « à gigot » ou en « oreille d'éléphant ». Rétablissant l'équilibre, le chapeau auréole la tête d'une large passe garnie de nœuds, de fleurs et de rubans. Comme l'écrit l'historien Henry Bouchot, la mode de cette époque se résume à trois points. « Faire de la jupe une cloche, de la tête un monument, du corps un fuseau » (Henry Bouchot, La Restauration, 1893). Et le courant romantique qui marque la littérature et l'art de l'époque exacerbe les caractéristiques de cette silhouette, suggérant le rêve des femmes de ressembler à un ange ou à un papillon.
Après le rétablissement d'un régime impérial (Second Empire), toutes les conditions sont réunies pour donner le jour à cet accessoire de la mode féminine qui symbolise l'éclat et le déploiement de luxe de ce régime : la crinoline. Cette cage constituée de cerceaux métalliques de tailles croissantes séparés entre eux par des rubans est créée pour soutenir l'ampleur démesurée de la robe. Si elle remplace la superposition de nombreux jupons amidonnés et baleinés représentant une contrainte de poids pour la femme, elle n'entrave pas moins ses mouvements et l'oblige à recevoir de l'aide pour s'habiller. Elle fait la joie des caricaturistes tels que Daumier qui rivalisent d'imagination pour s'en moquer.
Et pourquoi ne pas profiter de cette ampleur pour couvrir la robe, dont le corsage raccourcit considérablement, de volants, galons et broderies en tout genre ? D'autant que le développement de la couture mécanique mise à l'honneur lors de l'Exposition Universelle de 1855 enchante les couturières grisées par la vitesse des machines à coudre.
Ces progrès donnent naissance aux deux piliers de la mode que sont la confection, proposant des vêtements tous faits dans toutes les tailles, et la couture, produisant sur commande du sur-mesure et considérée comme inventée par Charles Frédéric Worth. D'origine anglaise, il serait le premier à avoir l'idée de préparer une collection à l'avance et de la présenter sur des modèles vivants. Cette période marque donc une étape d'une importance capitale dans l'histoire de la mode.
1868-1890
La période qui succède aux extravagances précédentes semble vouloir inciter la bourgeoisie à plus de sagesse et à établir des règles de maintien pour régenter la vie mondaine qui l'occupe. On en a donc pas fini avec l'asservissement de la femme par le vêtement. Mais que faire de l'ampleur de la robe si on abandonne la crinoline ? Qu'à cela ne tienne, on la ramène sur les reins. Elle y forme un pouf que l'on soutient à l'aide d'une demi cage baleinée fixée à la taille, la tournure, qui renforce artificiellement la cambrure de la silhouette féminine. Le corps de la femme se retrouve donc emprisonné dans un corsage étriqué, étranglé par un corset baleiné outrageusement resserré, et affublé d'un « faux-cul » avec lequel il est impossible de s'asseoir. La robe se drape sur la jupe de dessous qui laisse voir le jupon bordé d'un volant et se couvre de nombreux plissés, nœuds et passementeries diverses. Tout cela donnant naissance au style tapissier qui évoque le fouillis des salons de l'époque.
1890-1914
Vers 1890, la femme gagne enfin un peu d'indépendance grâce à son droit d'accéder à un emploi et donc d'acquérir une certaine autonomie financière. Il va donc lui falloir un vêtement qui lui laisse une plus grande liberté de mouvement. C'est alors qu'apparait le costume tailleur. Remplaçant la robe et composé d'une jaquette pourvue dans le dos d'une petite basque et d'une jupe rasant le sol, puis dévoilant la bottine, il s'accompagne d'un corsage à col montant. Judicieusement appelé « costume trotteur », il répond davantage aux besoins pratiques d'une femme active.
Portée sur un corset allégé, la robe évolue vers plus de flexibilité, moulant les hanches et s'épanouissant en corolle vers le bas. Elle se charge de garnitures, piqures, broderies, applications de fleurs pour la toilette plus habillée du soir. Mais une contrainte à laquelle il est impossible de déroger, c'est le port du chapeau. Souvent de grandes dimensions, il forme avec la coiffure relevée un échafaudage maintenu par de grandes épingles richement décorées.
Une guerre, ça bouleverse les mentalités. Les conditions imposées par celle de 1914-1918 vont amener la femme à s'affranchir des contraintes du vêtement. Modifiant d'abord ses activités par nécessité, elle va prendre goût à une vie plus active et à son indépendance. Pour répondre à ses besoins, la mode se simplifie et le style se dépouille. Pour être libre de ses mouvements, il lui faut une tenue plus courte et portée sans corset. La robe raccourcit d'abord imperceptiblement, jouant avec des pans de différentes longueurs. Puis, rectiligne et plaçant la taille sur les hanches, elle s'enhardit jusque sous le genou, attirant l'attention sur les nouveaux bas de couleur chaire et les chaussures à talon bobine richement décorées. Car si on la nomme « garçonne », la femme n'a pas pour autant renoncé à plaire. Les robes se parent donc de perles de jais ou de verre, de sequins, de franges et s'accompagnent de riches accessoires tels que sacs brodés, boas de plumes ou longs fume-cigarettes ornés de strass. Et oui, la femme fume désormais et aime sortir danser.
À la suite des années 1920, le rythme de changement s'accélère considérablement, mais ce qui a été acquis demeure. On assiste néanmoins, après les excentricités des « années folles », au retour d'une image plus traditionnelle de la femme. Il faut dire que la crise financière engendrée par le krach boursier de Wall Street en 1929 va davantage inviter à l'austérité et au dépouillement. Alors la robe se fait plus sage. Elle rallonge et la taille retrouve sa place.
Mais grâce à la création en 1936 des premiers congés payés et à l'influence du cinéma et de ses idoles, l'optimisme reste tout de même de mise. Les élégantes robes du soir adoptent un style épuré et épousent les formes à l'aide de matières fluides et de subtils drapés. La coupe en biais inventée par Madeleine Vionnet confère confort et liberté de mouvement. La silhouette féminine s'en trouve valorisée, ce qui va inciter ces dames à modeler leur corps par l'exercice physique.
En temps de guerre, on a probablement d'autres préoccupations que de se soucier de mode. Mais la pénurie et les restrictions vous rendent inventifs. Pour contrer celles imposées par le conflit qui éclate en 1940, les femmes font preuve d'une grande ingéniosité. Se tailler une jupe dans l'étoffe de tentures, masquer ses cheveux mal soignés sous un turban de lainage, se confectionner un chapeau avec des copeaux de bois, un sac en tapisserie ou encore une toilette dans la toile d'un parachute de récupération, tout est bon pour tenter de rester élégante.
La robe raccourcit, s'élargit au niveau des épaules et accentue la marque de la taille à l'aide de ceintures. Cette allure quasi militaire est-elle intentionnelle, cherchant à provoquer l'occupant en affichant un sentiment de liberté et de fierté nationale ?
Oublier, tel est le crédo d'une période d'après-guerre. Et quoi de mieux pour le faire que de prendre le contre-pied de celle-ci. Christian Dior l'a bien compris lui qui lance le style New-Look et sa débauche de tissu. Par leur scandaleuse ampleur et leurs multiples jupons, les robes évoquent l'époque de la crinoline. Le buste est galbé, la taille affinée dans la guêpière et la jupe rallongée jusqu'à la cheville. Longue le soir, courte et décolletée pour les cocktails d'après-midi, elle s'accompagne d'une multitude d'accessoires coordonnés, escarpins à talon aiguille, sacs à main, gants et indispensables chapeaux.
Cette mode célèbre l'opulence et porte la féminité à son paroxysme, dénotant du même coup un retour aux conventions pourtant délaissées. La femme des années 1950 réintègre le foyer et s'emploie à faire la fierté de son mari auquel elle sert de faire valoir par ses tenues vestimentaires et celle de sa maison irréprochables. Quant aux progrès de l'industrie, ils se consacrent à lui rendre la vie plus facile. De quoi la distraire de son envie d'indépendance.
L'initiative de cette révolution revient à la jeunesse issue du babyboom d'après-guerre, en rébellion contre les conventions bourgeoises et en recherche de nouvelles valeurs. Grâce au profond bouleversement des mœurs qu'elle prône, la femme se permet de revendiquer la libération sexuelle et le droit de disposer librement de son corps. Servant un idéal féminin filiforme et androgyne, la mode s'aventure au-dessus du genou. Née sous l'impulsion de Mary Quant et André Courrèges, la mini-jupe suscite un engouement sans précédent et favorise l'apparition des collants et des bottes. Structurée et assez raide, la robe voyage entre motifs floraux ou géométriques, couleurs vives et conquête spatiale. Mais pour la première fois, elle connait un rival qui n'est pas près de lâcher prise : le pantalon dans lequel s'affiche désormais la femme, proclamant ainsi son égalité avec les hommes.
Mouvement féministe ou pacifiste, style hippie ou ethnique, look disco ou punk, la mode des années 1970 évolue entre revendication, nostalgie, désillusion et paillettes. Alors que la crise pétrolière perturbe l'économie mondiale, un nouvel acteur fait son apparition dans le monde de la mode : le styliste. Intermédiaire entre la haute couture et la confection, ses créations restent plus abordables que celles d'un couturier mais font davantage place à l'originalité que celles des grandes chaînes de confection.
Motifs floraux stylisés aux tons pops, décors psychédéliques ou éléments orientaux envahissent la robe. Porte étendard de cet éclectisme, elle hésite entre mini, midi et maxi. Si le pantalon (patte d'éléphant bien sûr) semble vouloir la détrôner, la mode unisexe ne parvient pas à s'imposer.
Vingt ans après la révolution des Sixties, les babyboomers désormais adultes n'ont qu'une idée en tête, gagner de l'argent. Et le vêtement symbole de la réussite du yuppie (Young Urban Professional), ce carriériste célibataire et ambitieux, c'est le costume. Légitimisant sa présence professionnelle aux côtés des hommes, la femme l'adopte en version tailleur, jupe étroite, veste largement épaulée (pour un aspect plus viril) et élégant chemisier. Mais puisque rester sexy est néanmoins un atout supplémentaire, la robe fluide et couvrant à peine le genou moule les formes et ne dédaigne pas les décolletés. La femme entretient ce corps irréprochable par la pratique du bodybuilding et de l'aérobic. Et si elle travaille durement la journée pour réussir, elle ne se prive pas de faire la fête toute la nuit dans les discothèques, faisant étinceler les tenues métalliques et fluos sous les boules à facettes.
Durant les décennies qui vont suivre, modes revisitées et variétés de styles se succèdent à un rythme effréné, ce qui complexifie l'identification de tendances. La société de consommation encourage la diversification et l'individualisme, brouillant les codes établis durant des siècles. Dénotant les caprices des créateurs ou les envies de la rue, la robe ne se préoccupe plus de respecter les styles ou les convenances. La diversité de vêtements en fait une pièce parmi d'autres dans la garde-robe féminine. Quoiqu'il en soit, son histoire restera avant tout celle d'une lente conquête de la liberté faite de contraintes physiques et de révolutions des mœurs, cherchant à imposer les formes de l'anatomie à celles du vêtement pour ne plus le subir mais bien le magnifier.
Bénédicte Lamine, Collaboratrice au département Objets-Réserves (collection textile).
Légendes des illustrations :
1. Robe Empire en mousseline de coton brodée d'un semis d'étoiles et garnie de tulle brodé, 1795-1820
2. Robe Empire en taffetas de soie, 1815-1820
3. Robe en toile de coton imprimée à longues manches bouffantes, vers 1830
4. Capote en satin de soie et ruban de soie, 1815-1848
5. Crinoline composée de 11 cerceaux en acier séparés par des rubans de sergé de coton, 1850
6. Robe à crinoline en soie garnie de passementerie, 1850-1860
7. Robe à crinoline en mousseline de coton garnie de volants gansés, 1845-1855
8. Robe à tournure en coton, garnie de volants bordés d'un galon, composée d'un corsage baleiné, d'une jupe et d'une ceinture garnie d'un gros nœud, 1868
9. Robe à tournure en soie imprimée, garnie de dentelle, nœuds de ruban et volants plissés, composée d'un corsage baleiné et d'une jupe drapée sur la jupe de dessous, 1870-1885
10. Tournure en toile de coton et baleines métalliques, 1885
11. Tailleur en piqué de soie à petite tournure, composé d'un corsage baleiné garni d'un empiècement de mousseline de soie plissée, muni d'une basque fendue dans le dos, et d'une jupe garnie de nœuds dans le bas, vers 1890
12. Robe du soir en tulle de soie doublée de taffetas, brodée de fleurs en soie et garnie d'une petite traîne, réalisée par la Maison Schütze à Bruxelles, vers 1905
13. Chapeau en raphia et ruban de soie, vers 1900
14. Robe en crêpe de soie brodée de perles de verre, vers 1920
15. Chaussures en chevreau à talon bobine et fines brides garnies de perles d'acier et de petits cabochons de jais, vers 1920
16. Robe en soie à manches ballon, vers 1930
17. Robe longue en crêpe de soie coupé en biais, drapée et fermée dans le dos par 31 petits boutons, vers 1930
18. Robe réalisée dans la soie d'un parachute américain, garnie de smocks, accompagnée d'une ceinture et d'une écharpe de même matière, 1944-1945
19. Robe de cocktail en organza tissé, décolletée en « v » dans le dos, 1954-56
20. Chapeau en sparterie couverte de mousseline de nylon plissée, orné d'une épingle à chapeau en métal couverte de dentelle de paille, 1958
21. Mini robe en diolen garnie d'un col et d'un nœud lavallière, vers 1960
22. Robe en coton imprimé de grandes fleurs et garnie d'un col en popeline de coton, vers 1979
23. Robe longue en lamé imprimé de fleurs stylisées, 1974
24. Robe en polyester extensible, 1979-1980
25. Robe longue en polyester ornée de pastilles en lurex, vers 1980