Musée de la Vie wallonne

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Focus

Mettez un peu de fantaisie dans votre vie !

André Paul, Groupes et danses de Chinels, Fosses, 1949.

... sous une pluie de confettis

En ces temps troublés par le coronavirus, notre vivre-ensemble est perturbé de bien des manières. Les grands évènements qui ponctuent l'année, et qui donnent l'occasion de se réunir, nous manquent cruellement. Les fêtes du carnaval et du Laetare ne font pas exception à la règle. Alors, on trouve des solutions pour faire « autrement », sauf que le virtuel et le symbolique atteignent dans ce cas leurs limites. Ainsi la « Folklobox » est une boite contenant tout le matériel nécessaire pour faire son carnaval de Binche ou son Laetare de La Louvière à domicile. Elle contient toutes sortes de produits locaux pour faire la fête …dans sa bulle.

Se déguiser…

En effet, les joies carnavalesques sont par essence l'occasion de contrevenir à l'ordre établi. Cette tradition ancestrale remonte au Moyen-âge. à cette époque et jusqu'au 19e siècle, il s'agit de réjouissances particulièrement festives et délurées. C'est pourquoi, notamment, on se déguise pour ne pas être reconnu.

Ensuite, sous la pression de l'église, le carnaval s'embourgeoise et devient un spectacle avec des costumes de plus en plus raffinés et standardisés. Le carnaval chrétien se déroule traditionnellement lors des trois jours avant le carême : c'est l'occasion de décompresser avant la période maigre. D'ailleurs, le mot carnaval vient du latin carne-levare qui signifie ôter ou laisser la viande.

En Wallonie, la tradition reste vivace, particulièrement dans la région du centre. La reconnaissance du carnaval de Binche en tant que chef-d'œuvre du patrimoine oral et immatériel de l'humanité par l'UNESCO et son rayonnement dans la région peut, en partie, expliquer cette ferveur. En ces contrées, le carnaval n'est pas l'apanage des seuls Gilles mais aussi de toutes sortes de figures fantasques parfois plus anciennes et issues de la Commedia dell'arte. Dans ce focus, nous nous sommes centrés notamment sur les déguisements résultant de cette tradition théâtrale ancienne.

Ces personnages hauts en couleurs se rassemblent au sein de « sociétés de fantaisies » qui se joignent aux sociétés de Gilles lors du carnaval. La plupart des participants porte un panier de gille ou un sac rempli d'oranges qu'ils peuvent lancer à la foule. Elles sortent habituellement le dimanche et le lundi mais parfois aussi le mardi. Certaines sociétés ont aujourd'hui disparu, d'autres se forment ou se reforment sous l'impulsion de quelques citoyens.

Une variété de costumes

Les costumes des sociétés de fantaisies forment un corpus important et intéressant à analyser. Certains sont identiques d'années en années, d'autres s'autorisent des variations autour de plusieurs éléments immuables : la collerette, les cocardes ou fleurs en soies, les rubans, les rayures et les gros pois. Le carnaval de Binche, le Laetare de la Louvière et de Fosses-La-Ville sont des évènements où les sociétés de fantaisie et les groupes folkloriques sont particulièrement vivants.

Parmi ceux-ci, on peut citer :

Le Chinel et le Polichinelle

Le personnage du Polichinelle provient directement de la Commedia dell'arte. On en sait peu sur la raison de l'emprunt de ce costume pour des carnavals wallons. C'est un personnage très connu pour son caractère grotesque qui était souvent présenté par les comédiens et théâtre de marionnettes ambulants. Contrairement à sa nature originelle assez grossière, le costume du Polichinelle des carnavals de la région du centre est assez raffiné : de la dentelle blanche pour orner la coiffe, les manches et le bas des jambes, une collerette généreuse parfois rehaussée d'un fil doré. La blouse et le pantalon sont constitués de bandes de couleurs vives.

Selon la légende, le Chinel de Fosses-La-Ville (cliquez ici pour une vidéo d'archive) est né de la rencontre entre un brave bossu et des fées de la forêt. Celles-ci par bonté, lui enlèvent sa bosse. Un autre bossu, beaucoup moins aimable, se rend également dans le bois pour se faire retirer sa bosse mais il se retrouve avec une nouvelle bosse sur le thorax. Il devint la risée de la ville et fut moqué pendant la période du carnaval.

Le costume du Chinel est très chatoyant et fortement ornementé. Il est réalisé en tissu satiné comprenant des broderies, des clochettes et manches ornées de plis.

Lors du Laetare, un autre personnage (ancêtre du Chinel) anime les rues, il s'agit du Doudou au costume blanc ponctué de gros pois rouge à la manière d'un pierrot. Ces deux protagonistes manient un sabre en bois avec lequel ils chatouillent les mollets des jeunes filles en jupe. Ce « sabrage » est une marque de camaraderie ou de politesse galante. En échange, la spectatrice caresse la bosse arrière du Chinel, ce qui lui portera chance.

Le Vert Fiyon, le Zozo, le Bie-contint à la Louvière

Ces trois sociétés sont plus présentes autour du Laetare de La Louvière. En effet, le paysage carnavalesque est tellement riche que des spécificités localisées apparaissent dans certaines communes et nulle part ailleurs.

Un Vert Fiyon est, en wallon, un mot qui désigne un petit oiseau au plumage vert de la famille des passereaux. Cette société semble être d'origine plus modeste car fondée par les ouvriers du quartier du Mitant-des-camps de La Louvière. Ils portent un costume de Pierrot vert vif avec des gros boutons symbolisés par des pois noirs. Le petit chapeau rond et noir du pierrot est surmonté d'une crête verte, parfois en dentelle.

Le Zozo est une sorte de clown, il est originaire du quartier du Hocquet et son origine remonte à la fin du 19e siècle. C'est encore un dérivé du Pierrot avec son vêtement bleu marine rehaussé de dentelle aux manches et aux bas des jambes : il porte une collerette et un chapeau mou confectionné dans le même tissu que le reste de la tenue.

L'histoire des Bie-contint de La Louvière est l'exemple parfait du tiraillement qui anime bon nombre de sociétés carnavalesques : l'embourgeoisement de certaines sociétés peut engendrer l'exclusion des créateurs issus des classes plus populaires. Cela peut mener à une véritable confiscation du folklore local par les plus nantis. Ainsi, il exista deux sociétés de Bie-contints à La Louvière. Ceux qui se revendiquaient d'être les vrais Bie-contints dont le prix du costume pouvait atteindre 17.5 francs en 1901 ! Trop onéreux pour les autres qui fondèrent une deuxième société de Bie-contints sans frais d'inscription. C'est cette société, plus modeste, qui perdure jusqu'à nos jours. On note que le costume est assez élaboré : un vêtement ample de couleur noir, bleu clair ou rouge rubis, un boléro et l'incontournable collerette. L'élément saillant est une coiffe en étoupe qui se termine par une ou deux proéminences selon l'humeur ou le budget.

Le Pierrot et l'Arlequin à Binche

Le Pierrot est très répandu dans toutes sortes de carnavals. Il est notamment apparu à Binche en 1937 sous l'impulsion du frère Fernand qui souhaitait faire participer au carnaval les enfants accompagnés par les instituteurs de l'école des frères. En effet, si papa fait le gille et maman l'accompagne, rien n'était vraiment prévu pour occuper les enfants. Aujourd'hui ce sont les enfants du petit collège de Binche qui ont pris le relais. Une autre société voit le jour en 1966, ce sont les Arlequins, société destinée également aux « enfants laïcs » de l'athénée de Binche. Et oui, ces sociétés se sont créées sur fond de guerre scolaire ! En effet, seuls les petits catholiques du collège pouvaient participer au carnaval. Ce fut sans compter sur Samuel Glotz éminent folkloriste, préfet de l'athénée et directeur du musée du masque de Binche. Il invente la société des Arlequins qui sortent le lundi gras.

Le Paysan

Il officie à Binche et dans d'autres communes de la région. Le collège Notre-Dame y effectue le recrutement. Le paysan est considéré comme un futur Gille : c'est pourquoi cette société fondée en 1929 est interdite aux filles. À part son nom, rien de rural dans le costume : le Paysan porte un sarrau bleu orné de manchettes blanches, un pantalon blanc, des fines chaussures décorées de rubans plissés, des gants blancs et un ramon un peu différent de celui du Gille. Le Paysan de Binche est également coiffé d'un chapeau orné de deux plumes blanches d'autruche et de longs rubans blancs. Il porte aussi une « barrette » d'ecclésiastique ainsi qu'un large carré de tissu blanc plié sous le menton. Le paysan en tant que futur Gille peut se parer du masque de cire.

À La Louvière, où les traditions évoluent, la Paysanne peut participer également aux festivités carnavalesques. Son costume se décline sur les mêmes tons que son compagnon.

À l'année prochaine !?

Au fil du temps, les carnavals actuels réunissent leurs participants quelques soient leurs origines, leur condition sociale ou culturelle. L'important est de célébrer ensemble une tradition bien ancrée dans leurs « tripes ». Préparé toute l'année, un carnaval se vit davantage de l'intérieur et est bien plus qu'un spectacle pour touristes. On comprend d'autant plus le chagrin de ceux qui n'ont pu se réunir en 2020 et en 2021. Mais on parie (et on espère) que l'édition de 2022 soit deux fois plus joyeuse. À bientôt dans le cortège !

Julie DEGRE, Collaboratrice aux Collections photographiques.

Références bibliographiques :

LEMPEREUR Françoise, Du doudou au remoudou. Arts et traditions populaires de Wallonie, Bruxelles, Labor, 1999, 159 p.

BRYNAERT J-M, Histoire vivante de nos sociétés de fantaisie, La Louvière, (Histoire et folklore), 1989, 108 p.

Site web :

SOCIETE FOLKLORIQUE DES PAYSANS DE LA LOUVIERE [En ligne]

www.paysansdelalouviere.be

(Consulté le 05 mars 2021).

Amicale des Sociétés du Carnaval Louviérois [En ligne]

http://www.carnavallalouviere.be/

(Consulté le 05 mars 2021).

Office du Tourisme de la ville de Binche[En ligne]

www.carnavaldebinche.be

(Consulté le 05 mars 2021).

SERVICE PUBLIC DE LA WALLONIE[En ligne]

http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/carnaval-de-binche-principalement-pendant-les-jours-gras#.YEHvPNZFwdU

(Consulté le 05 mars 2021).

Les chinels de Fosses-la-Ville [En ligne]

http://www.chinels.be/

(Consulté le 05 mars 2021).

Légendes des illustrations :

  1. Élément de costume de carnaval d'enfant du Laetare à La Louvière figurant le personnage de Polichinelle réalisé par l'Ecole communale du Centre, 1985.
  2. Élément de costume de carnaval d'enfant du Laetare à La Louvière figurant le personnage de Polichinelle réalisé par l'Ecole communale du Centre, 1985.
  3. Fraikin, Carnaval de Fosses : petits Chinels, 1979.
  4. Fraikin, Carnaval de Fosses : petits Chinels, 1979.
  5. Glotz Samuel, Carnaval de Binche : Les Paysans, 1950.
  6. Glotz Samuel, Carnaval de Binche : Les Paysans, 1950.
  7. Glotz Samuel, Carnaval de Binche : soumonces ordinaires, 1950.
  8. André Paul, Groupes et danses de Chinels, Fosses, 1949.
  9. André Paul, Groupes de Chinels, Fosses, 1948.
  10. Max Louis, Carnaval de Binche : société des Paysans, 1930.
  11. Costume de carnaval : Arlequin, Liège, 1900.
  12. Folklobox du carnaval de Binche 2021.
  13. Chapeau de Chinel du carnaval de Fosses-la-Ville, vers 1970.
  14. Élément de costume de carnaval d'enfant du Laetare à La Louvière représentant un zozo, réalisé par l'Ecole communale du Centre, 1989.
  15. Élément de costume de carnaval d'enfant du Laetare à La Louvière représentant un zozo, réalisé par l'Ecole communale du Centre, 1989.
  16. Élément de costume de carnaval d'enfant du Laetare à La Louvière représentant un Pierrot, réalisé par l'Ecole communale du Centre, 1986.
  17. Film d'enquête du Musée de la Vie wallonne consacré au cortège du carnaval de Fosses-la-Ville, en 1948, où défilent différents groupes de personnages : les Chinels de Fosses, armés de leurs sabres de bois, les Gilles de Charleroi, des Pierrots et des bohémiens, 1948. https://www.youtube.com/watch?time_continue=13&v=BjOCyfiCWV0&feature=emb_logo
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