Musée de la Vie wallonne

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Focus

Les zoos humains...

Affiche illustrée annonçant le village sénégalais présenté à l'Exposition universelle Liège de 1905

Ou quand l'Homme cesse d'en être un !

« Hambourg, Londres, Bruxelles, Chicago, Genève, Barcelone, Osaka,...toutes les grandes villes qui accèdent à la modernité exposent dans des zoos humains ceux qu'ils considèrent comme des sauvages. Sénégalais, Nubiens, Dahoméens, Egyptiens, Lapons, Amérindiens, Coréens et autres peuples dits exotiques sont ainsi présentés dans un environnement évoquant leurs contrées, souvent dans des costumes de pacotille et aux côtés de bêtes sauvages (...)[1] »


Entre 1870 et 1940, en Europe Occidentale, ils sont près d'un milliard de visiteurs à se presser pour assister à ces « spectacles de masse »... Or, si ces "zoos humains" semblent s'inscrire dans les normes des sociétés européennes occidentales, ils n'apparaissent pas brutalement à la fin du 19e siècle : ils s'organisent à la suite d'une longue tradition post-colonialiste. En Europe, c'est aussi l'époque des reconstructions identitaires nationalistes sur le mythe de la modernité. Les expositions à vocation universelle se succèdent et mettent en exergue le progrès et le besoin de cette évolution vers la modernité! Gilles Boëtsch justifie le succès de ces exhibitions par le besoin de distraction et d'éducation des populations rurales ayant migré vers les villes. « Elles seront fascinées par cet exotisme jusqu'alors inconnu (...)[2] ».

Des spectacles chargés de l'esprit colonial

Exposés tels des phénomènes de foire et mis en scène, ces humains, arrachés à leur terre et considérés comme des « sauvages », sont confinés dans des enclos aux abords desquels les spectateurs ébahis s'attroupent. Certains de ces indigènes deviendront tristement célèbres. Tel fut le cas de la « Vénus Hottentote » : une femme originaire du Sud de l'Afrique, exposée en Angleterre et en France dans les années 1810. La plupart des figurants exhibés sont payés et liés à leurs exploitants par un contrat. À Bruxelles, lors de l'Exposition Internationale de 1897, on pouvait lire sur un panneau : « Ne pas donner à manger aux Congolais, ils sont nourris[3] ». Ce racisme décomplexé restera longtemps lié à une colonisation légitimée par la classe politique en Europe Occidentale. À cette époque, la vulgarisation, tant scientifique qu'anthropologique reste quasi inexistante et donc peu accessible à un public de masse. Dans les ouvrages d'histoire, à la fin du 19e siècle, la suprématie de la race blanche européenne est définie en tant que norme[4].

Les zoos humains : fabrique du racisme?

« Les spectacles anthropozoologiques ont été le vecteur essentiel du passage du racisme scientifique au racisme colonial vulgarisé[5] » expliquent les anthropologues Gilles Boëtch et Pascal Blanchard. Ces exhibitions et/ou divertissements de masse, ont contribué largement à diffuser un racisme dit populaire. Pour asseoir la renommée de ces manifestations, on n'hésitait pas à les promouvoir en utilisant des photographies « réutilisables » au gré des expositions et accompagnées de légendes volontairement erronées. En effet, les indigènes exposés ne provenaient pas nécessairement de la région annoncée. On les photographiait et on les habillait différemment pour feindre l'illusion.

Le rôle de la science restera complexe et essentiellement basé sur la méthode scientifique dite de « la mesure ». Pour exemple, après le décès de la « Vénus Hottentote » en 1815, son corps est disséqué afin de démontrer l'infériorité congénitale des « races à crâne déprimé et comprimé ». Ses organes sont présentés dans des bocaux à l'Académie des Sciences.

La classification du monde...

Vers 1890, les anthropologues commencent à douter de l'intérêt de ces exhibitions, prétextes d'attractions pour les expositions plus lucratives que scientifiques. Souvent parqués comme des animaux sauvages, les « indigènes » sont victimes de leurs conditions de détention dégradantes, tant physiquement que moralement. Les zoos humains laisseront place aux spectacles de foire. Les sujets exposés ne sont plus liés à leur ethnie, mais à ce qui en fait des « monstres hors-normes ». Hommes serpent, femmes à barbes, individus atteints de la progéria (vieillissement prématuré) ou de nanisme deviennent les nouvelles stars encensées par les foules et souvent, dans le plus grand mépris envers la gent humaine...

L'Exposition Universelle de Liège, 1905

Du 27 avril au 6 novembre 1905, se déroule l'Exposition universelle de Liège. Le site s'étend sur une surface de 66 hectares répartis entre le quartier des Vennes, la Boverie, Fragnée et Cointe. Trente-huit pays y sont représentés. Seize mille exposants prennent part à cet événement. C'est à Fragnée, dans le "Quartier des Attractions" qu'est exhibé le « Village Sénégalais ».

Cent cinquante indigènes sont parqués au sein dudit village. « On y trouvait des petites cases couvertes de paille entre lesquelles serpentaient les ruelles tortueuses. Un hangar au toit recouvert de paille faisait office d'édifice national (...)[6] ». Au gré de la visite des cases, les visiteurs peuvent découvrir divers artisans exerçant leur art, un maître d'école ainsi qu'une femme pilant du riz, un enfant attaché dans son dos. Prières, rites et chants traditionnels meublent cette atmosphère présentée comme « exotique ».

L'approche sera réitérée en 1958, lors de l'Exposition Universelle de Bruxelles qui sera la dernière évoquant cette idée du sauvage exhibé au sein d'un « village de nègres » (des Congolais) et reconstitué pour l'occasion. Les comportements racistes et abjectes de certains visiteurs lançant des bananes aux indigènes pousseront ces derniers à quitter l'exposition avant son terme, rompant ainsi le contrat qui les liait aux organisateurs...



J.-M. S., Collaborateur aux Archives générales du Musée de la Vie wallonne.

Légendes des photos :

1. Affiche illustrée annonçant le village sénégalais présenté à l'Exposition universelle Liège de 1905.

2. Affiche réalisée à l'occasion de l'Exposition universelle de Liège de 1905.

3, 4 et 5. Cartes postales figurant le village sénégalais lors de l'exposition universelle de Liège en 1905.

6. Carte postale du village sénégalais et des montagnes russes lors de l'Exposition universelle de Liège de 1905.

7. Chanson à propos d'une attraction de la foire à Liège : les Zoulous, vers 1900.

[1] Zeintoun, Ch., « A l'époque des zoos humains », dans CNRS - Le Journal, 25/08/2015.

[2] Ibidem

[3] Ibidem

[4] L'idéologie de « la race supérieure » telle qu'elle est définie par Arthur de Gobineau date du 19e siècle. Dans son Essai sur l'inégalité des races humaines, Gobineau définit déjà la supériorité des nations dites civilisées de races aryenne, notion sur laquelle Hitler se basera pour mener sa campagne d'extermination lors de la Seconde Guerre Mondiale.

[5] Boëtsch, G. & Chevé, D., Le Corps dans tous ses états, Paris, NNRS Editions, 2013, p. 7-12.

[6] http://www.chokier.com/FILES/EXPO/Expo1905-Plan.html

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