



En juillet 2023, une équipe du Musée se rendait sur le site de production du charbon de bois à Bertrix pour y interviewer James Demaret, le Directeur général de la Société « Tcharbon ».
Notre équipe s'y est rendue dans le cadre d'une collecte concernant la transition écologique destinée à l'actualisation de ses collections. Il y a fort à parier que nous sommes nombreux à connaître les vertus du charbon de bois pour les barbecues mais ce combustible a bien d'autres utilités : il est utile pour se chauffer et est encore utilisé pour les chaudières industrielles ; il agit tel un désodorisant pour absorber les odeurs indésirables. Par ailleurs, il peut faire office de filtre dans les stations d'épuration d'eau. Il est également très utile au jardin car il aide à l'aération du sol, évite la fonte des semis, et constitue un excellent engrais. Parfois, il est utilisé avec parcimonie pour certains soins buccaux…
Nonante ans plus tôt, au cours d'une vaste enquête menée sur les charbonniers pour le Musée de la Vie wallonne, un certain Honoré Simon s'exprimait sur le sort réservé à la profession en affirmant que « Le métier était mort depuis plus d'un demi-siècle… ». Le constat révélait l'absence des charbonniers dans les forêts de l'Ardenne belge délaissées pour les Ardennes françaises, où leur labeur participait à l'essor d'une industrie florissante ! Les propos qui suivent sont issus des rares archives et précieux témoignages de différents acteurs de terrain dont Roger Danloy fait écho dans ses notes « Etude sur les bûcherons de la Semois vers la fin du XIXe siècle » (Liège, 1934).
La vie dans les bois
Le cycle de travail d'un charbonnier en forêt couvrait près de neuf à dix mois de notre calendrier grégorien. Ainsi, en hiver, pendant la pause annuelle, les charbonniers s'improvisaient sabotiers ou vanneurs… En de plus rares circonstances, certains d'entre eux passaient l'année sur les lieux de production du combustible. Au début du XXe siècle, ce cycle commençait par la migration des ouvriers vers leur lieu de labeur et, pour nombre d'entre eux, ces pérégrinations étaient éprouvantes. Une fois dans la clairière, la première tâche consistait à la construction de la hutte qui les abriterait durant l'été. Son usage disparaîtra d'ailleurs après la Grande Guerre et elle sera remplacée par la cabane en planches et toit en tôle ondulée…Les plus chanceux pouvaient bénéficier d'une roulotte plus confortable.
L'intérieur de la hutte traditionnelle était minimaliste. On pouvait y trouver « […] un lit formé de 4 ou 6 piquets de bois, fourchus, plantés dans le sol, contre la paroi de la hutte. Entre les dents de ces fourches se plaçaient des traverses sur lesquelles on étendait, en longueur, une couche de petites perches formant le sommier. Ensuite, on étendait un matelas de fougères, de mousses ou de feuilles mortes […][1] ». Le mobilier de la cabane en planches offrait un peu plus de confort et permettait une meilleure isolation. En plus de la literie, « […] le mobilier consistait en un poêle à colonne, une étagère servant au rangement de la vaisselle et de la batterie de cuisine et une lanterne […] suspendue à la paroi[2] ».
Le charbonnier, sa femme et leur cahute…
À Presgaux, dans le Nord de la France, il arrivait que femmes et enfants rejoignent leur époux/père pour l'accompagner dans ses tâches. La femme remplissait un rôle prépondérant : elle préparait le repas et entretenait la cahute. Elle façonnait les bûches, assurait leur transport par la brouette et préparait les sacs à charbon. Ainsi, les six premiers jours de la semaine étaient consacrés à la fabrication du charbon de bois « […] tandis que le dimanche était réservé à la remise en ordre de la cabane et à la réparation des outils »[3]. La première partie de l'Enquête du Musée de la Vie wallonne témoignait du ravitaillement des charbonniers occupant différents lieux : Ils « […] devaient parcourir 5 kilomètres jusqu'aux villages environnants ; toutefois le boulanger apportait le pain dans la forêt de Signy-l'Abbaye. Quant aux charbonniers de Dampicourt, ils consacraient une partie de la journée du samedi à faire les courses au village le plus proche. Ils en profitaient […] pour boire quelques « gouttes » avant de revenir dans la clairière. Le mercredi, le plus jeune d'entre eux était chargé d'aller acheter du pain, il allait a la michète ».[4]
Un faudreû et un rouleû pour la cheminée !
Avant d'entamer le long processus de la fabrication du charbon de bois, il incombait au charbonnier de trouver l'espace de terre dans la clairière (ou « L'aire de faulde ») sur lequel il allait se sédentariser et travailler durant quelques mois. « Les charbonniers choisissaient en priorité une ancienne aire de faulde, car le sol y était recouvert de cette terre de faude […] propre et fine […]. Si aucune ancienne faude n'existait, les charbonniers recherchaient alors un endroit sec […] au milieu d'une clairière accessible aux brouettes des rouleûs et aux charrettes. Le sol ne devait être ni trop pierreux, ni sablonneux ou argileux. Suffisamment compact afin d'empêcher le passage de courants d'air à la base de la faude, il devait aussi permettre l'infiltration et l'évacuation des goudrons »[5].
Une série d'étapes préalablement et minutieusement définies se succédaient. Il fallait délimiter l'aire de faude en traçant une circonférence de 12 à 15 pas de rayon et en la nettoyant des matières végétales pouvant s'embraser durant la phase de combustion du bois. Une meule était ensuite érigée par les dresseurs aidés des rouleûs qui acheminaient à la brouette (beurwète dè rouleû) les bûches nécessaires au dressage. Puis « […] les dresseurs commençaient la construction de la cheminée, èl tchèminêye : trois perches bien droites […] étaient plantées verticalement sur le monticule qui constituait le centre de la faude […] »[6] Une série de poteaux surmontés de traverses étaient appuyés sur la meule afin de consolider l'édifice. La hauteur de la cheminée variait sensiblement en fonction de l'endroit où elle était dressée : « Les Belges […] dressaient une cheminée plus haute […] et […] plaçaient les rondins du deuxième rang inclinés contre la cheminée, et non couchés sur la base supérieure du premier rang ».[7] [comme le faisaient les Français N.D.L.R.]
Une couverture végétale était constituée pour entourer la meule, la protéger et optimiser son rôle isolant sur plusieurs niveaux : gazon, feuilles mortes ; tout ce que le charbonnier pouvait trouver sur place, et « […] cette couche végétale devait avoir une épaisseur de 5 centimètres environ, juste ce qu'il fallait pour supporter la terre de faude et pour éviter que celle-ci ne fût en contact direct avec les bûches »[8]. À cette épaisseur végétale variable selon le résultat de combustion initialement souhaité, « le faudreû jetait la terre par petites pelletée sur la faude en commençant par le pied du fourneau et en tournant. Il la tassait avec le revers de la pelle […] afin d'assurer un bon contact avec la litière. La terre devait toujours être un peu humide pour ne pas glisser ou s'envoler et pour renforcer l'étanchéité de la couverture. »[9].
« Mettez la faude à feu ! »
Une fois le gros œuvre terminé, isolé et sécurisé ; la mise à feu était imminente ! « Quand la faude était bien recouverte de terre, le faudreû pouvait ‘mettre la faude à feu' […] l'allumer […] au moyen de braises vives. »[10]. Des évents (trous d'aérage) assuraient le tirage et la bonne répartition du feu. « La mise à feu avait lieu à 8 heures du matin : vers midi, puis trois ou quatre heures après, le faudreû rechargeait du charbon dans la cheminée. »[11] La carbonisation dépendait des conditions climatiques et obéissait à une série de critères déterminés par la couleur de la fumée se dégageant de la faude.
La combustion durait en moyenne six jours et s'accompagnait d'une attention de chaque instant. « La nuit, les charbonniers devaient dormir à proximité de la faude, i faleut coûtchi su l'bos, afin d'être prêts à intervenir à tout instant. Ils se relevaient toutes les six heures pour une tournée d'inspection […] un des faudreûs montait sur la meule afin de mesurer l'état d'avancement de la carbonisation […] Le faudreû se rendait compte que la cuisson était terminée quand le feu venait mourir à une dizaine de centimètres du pied de la meule »[12]
S'en suivaient l'obturation des évents et le « peignage », lequel consistait à battre la surface de la faude, du sommet jusqu'à sa base à l'aide d'un râteau en bois à longues dents. Cette étape, indispensable, permettait d'accélérer l'extinction du feu.
« Un à deux jours plus tard, les hommes se chargent du défournement à la nuit tombée […] Ils commencent par ôter […] un quartier de la faude »[13] en récupérant les charbons produits par la combustion qu'ils empilent non loin. Le conditionnement se faisait dans des sacs de jute. Cette combustion à l'étouffée se poursuivra jusqu'au début du XXe siècle avec des « […] fours portatifs à anneaux, posés sur le sol, telles de grosses cloches ».[14] Modernisée, elle sera utilisée jusqu'à la moitié des années trente.
« TcharbonTM », un nouveau concept écologique !
La collecte transition cible essentiellement le récolement d'informations et d'objets de toutes sortes ayant trait aux initiatives participatives à cette transition… « TcharbonTM », par sa philosophie, répond aux critères de cette collecte et fait partie des entreprises que nous avons rencontrées en Ardenne belge (Bertrix) !
Le 10 juillet 2023, James Demaret, expliquait l'objectif principal de cette entreprise : la production du charbon de bois pour barbecue à partir de déchets de bois dans une optique éco-responsable et en circuit-court puisque la production se fait sur le terrain où les ressources sont disponibles, rassemblées et exploitées. Il y a donc une meilleure gestion de cette production et des déchets revalorisés après avoir été triés dans un espace donné (« plateforme/parc de production »). L'entreprise s'est également équipée de technologies de pointes (des fours, des cuves, des contenants plus adaptés et des systèmes de biomasses permettant le réchauffement par l'eau qui sera recyclée et donc plus écologique). Il y a donc moins de déchets ; tout est recyclé et épuré pour atteindre un taux de carbone pour une cuisson saine. Son utilisation nécessite une moins grande quantité du produit fini.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à découvrir l'interview et la retranscription des propos échangés durant le reportage via ce lien.
Jean-Michel STOCKEM, Collaborateur au département des Archives générales.
Légendes des illustrations
[1] René LEBOUTTE, « La fabrication traditionnelle du charbon de bois » dans Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, Tome XV, Nos173-176, 59-60es années, 1982-1983. p.226
[2] René LEBOUTTE, op. cit., p.227
[3] René LEBOUTTE, « La fabrication traditionnelle du charbon de bois » dans Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, Tome XV, Nos173-176, 59-60es années, 1982-1983. p.228
[4] René LEBOUTTE, op. cit., p.229
[5] René LEBOUTTE, op. cit., p.230
[6] René LEBOUTTE, op. cit., p.232
[7] René LEBOUTTE, op. cit., p.235
[8] René LEBOUTTE, op. cit., p.237
[9] René LEBOUTTE, « La fabrication traditionnelle du charbon de bois » dans Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, Tome XV, Nos173-176, 59-60es années, 1982-1983. p.237
[10] René LEBOUTTE, op. cit., p.238
[11] René LEBOUTTE, op. cit., p.239
[12] René LEBOUTTE, op. cit., p.243
[13] Laure GLOIRE, Justine FONTAINE, « Bûcherons sabotiers et Cie – Les métiers du bois », en collaboration avec le Domaine provincial du Fourneau Saint-Michel, Arlon : Weyrich Edition, 2015, p.100
[14] Ibidem