Acte 3 : le tournant de la guerre
L'attaque sur Pearl Harbor a réveillé le géant américain. Mais la guerre qui s'annonce désormais est à sa mesure avec deux fronts immenses, soit les deux plus vastes océans de la planète à maîtriser à l'époque où la guerre doit d'abord se gagner sur mer. La logistique est plus que jamais la reine des batailles. Mieux que quiconque, les états-Unis sauront gagner cette bataille d'un nouveau genre dont les maîtres mots sont planification et production. Une mobilisation sans précédent s'ensuit. C'est le Victory Program, énorme machine qui se met en marche avec l'intervention de l'état (au Canada également) qui planifie et finance. Cette mobilisation unique dans l'Histoire concerne chaque Américain.e. On accepte un rationnement dont les Japonais croyaient l'opulente Amérique incapable.
Les nazis et les Japonais sont passés dans maître dans l'art de la propagande ? Les Américains font mieux, comme l'explique Owen Latimore, au Congrès des écrivains à Los Angeles en 1943 : Nous avons été contraints de recourir à la guerre de propagande comme nous avons été plongés de force dans la guerre de façon générale lorsque nous avons été surpris à Pearl Harbor. La guerre de propagande nous a été imposée par des ennemis sans scrupules et efficaces qui utilisent la propagande avec beaucoup d'habileté. L'OWI (Office of War information) est créé en juin 1942 et envahit tous les secteurs de la communication, journaux et revues (comme le journal Stars and Stripes) livres, affiches, radio, cinéma… La guerre psychologique est un front comme un autre et il faut la gagner comme les autres.
Dans une allocution radiodiffusée prononcée le 3 septembre 1942, Roosevelt s'explique : Il faut que nous poussions l'offensive contre toutes les formes du mal. Il faut que nous travaillions et combattions pour garantir à nos enfants la maîtrise et la paisible jouissance de leurs droits imprescriptibles à la liberté de parole, à la liberté de conscience, à la libération de la misère, à la libération de la crainte. C'est seulement en ces termes hardis que la guerre totale peut se terminer par une victoire totale.
Sur les buts et objectifs de guerre, il est entendu que l'adversaire à abattre en priorité est l'Allemagne nazie, mais les discussions entre Américains et Britanniques ne sont pas si simples, et encore moins celles entre Américains et Russes qui réclament de plus en plus l'ouverture d'un second front. Lors de la conférence de Téhéran, du 28 novembre au 1er décembre 1943, Churchill, Roosevelt et Staline, concrétiseront enfin la Grande Alliance, même si, lors de cette rencontre au sommet, l'on évite de parler des moyens de gagner la paix…
A peine plus de deux années ont suffi aux dictatures pour se tailler, en Europe comme en Asie, d'immenses empires.
En Asie, le Japon, victorieux des occidentaux dans les colonies européennes, prend des allures de libérateur et laisse entrevoir l'indépendance aux peuples de l'Est asiatique. Il encourage les mouvements nationalistes. Cependant, les gouvernements et les parlements locaux sont placés sous contrôle, comme en Birmanie, ou sous administration militaire, les ressortissants chinois arrêtés, déportés, massacrés. Le japonais est imposé comme langue officielle aux Philippines, en Malaisie et en Indonésie.
En Europe, différents statuts sont imposés aux états conquis par l'Allemagne, qui dépendent de la hiérarchie raciale sous-tendue par l'idéologie nazie. Ainsi, si certains se voient annexés (protectorat de Bohême-Moravie, Alsace-Lorraine), d'autres ont un double statut, à la fois partie du Grand Reich et territoire administré, d'autres encore restent indépendants mais sont placés sous l'administration directe des nazis, comme en Norvège et en Belgique. La France connaît l'ensemble de ces statuts, coupée en deux par une ligne de démarcation, au nord, la zone occupée par les nazis, au sud, la zone libre gouvernée par le régime de Vichy. La collaboration est recherchée avec les autorités locales ou imposée par l'occupant. Elle s'appuie sur des réseaux fascistes et nationalistes d'avant-guerre, avec Vidkun Quisling en Norvège, Léon Degrelle en Belgique ou Anton Mussert aux Pays-Bas. C'est aussi l'exploitation et le pillage économique et la mise en place de systèmes de terreur.
A la fin de l'année 1942, c'est au moment où l'Allemagne, l'Italie et le Japon ont atteint le zénith de leur puissance expansive que leurs forces subissent en Russie, en Afrique et dans le Pacifique, des coups d'arrêt qui deviendront décisifs. Examinons la situation sur les trois fronts…
Au printemps 1942, le Japon est maître de tout le Sud-Est asiatique et d'une grande partie de l'océan pacifique. Le coup d'arrêt au raz de marée nippon est donné par deux grandes batailles, celle de la mer de Corail en mai et celle, décisive, de Midway en juin. A partir du mois d'août 1942, les Américains, sous le commandement du général Mac Arthur, commencent à livrer des combats acharnés pour reprendre l'île de Guadalcanal.
C'est à partir de 1943 que l'équilibre se rompt définitivement au profit des forces américaines. La production de guerre américaine tourne alors à plein régime, livrant notamment de nouveaux porte-avions lourds devenus l'arme essentielle de la guerre du Pacifique. Avec la stratégie de sauts de puce s'élabore en parallèle par laquelle les Marines n'ont pas à reconquérir chaque île mais à s'emparer d'une seule dans un archipel et à la transformer en base solide avant de procéder à un nouveau bond en direction du Japon. Ce sont les exemples des îles Salomon, Marshall, Mariannes, Carolines, puis les Philippines et finalement l'archipel japonais lui-même.
Le front russe
Au cours de l'hiver 1941-42, l'opération allemande Barbarossa a échoué devant la contre-offensive russe qui a dégagé Moscou. La grande guerre patriotique, telle qu'on l'a dénommée, que mènent derrière Staline les soldats de l'Armée rouge, d'innombrables partisans et tout un peuple héroïque, ne fait que commencer.
En juin 1942, les armées allemandes, désormais commandées directement par Hitler (de moins en moins d'accord avec ses généraux), reprennent l'offensive en direction du Don, afin de couper les armées soviétiques de leur ravitaillement en matériel allié. Dans un premier temps, l'offensive réussit : les Allemands atteignent le Caucase sans pouvoir toutefois se rendre maîtres de la zone stratégique pétrolière de Bakou.
Mais c'est devant Stalingrad, sur la Volga, que s'arrête l'offensive allemande. Au terme d'une bataille acharnée, les Allemands capitulent au tout début du mois de février 1943. Une armée de 330 000 hommes est inutilement sacrifiée alors même que Stalingrad ne constituait pas un objectif principal. Surtout, les conséquences psychologiques et politiques de cette première grande défaite allemande vont se révéler incalculables ; pour le monde entier, c'est la fin du mythe de l'invincibilité allemande. Pourtant, en dépit de la perte de 1 500 000 soldats dans cette campagne de Russie, les armées allemandes reprennent l'offensive sur le saillant de Koursk où se déroule la plus grande bataille de chars de la Seconde Guerre mondiale, du 5 juillet au 23 août 1943. Là aussi, la résistance acharnée des Soviétiques, suivie d'une puissante contre-offensive, provoque la défaite des Allemands qui, désormais, vont reculer partout. L'Armée rouge libère Kharkov pendant l'été 1943, reprend Kiev le 6 novembre, puis Odessa et la Crimée et dégage définitivement Leningrad en janvier 1944 avant de reconquérir l'Estonie. Au printemps 1944, à quelques exceptions près, la Russie a entièrement libéré son territoire.
Le front occidental
Dès l'entrée en guerre des états-Unis, Churchill se rend à Washington pour discuter avec Roosevelt d'une stratégie conjointe alliée. Or, l'absence de front terrestre d'envergure implique des débarquements ultérieurs dont le choix divise les Alliés. Les Américains veulent débarquer en France tandis que les Britanniques préconisent une stratégie périphérique, notamment en Afrique du Nord. Dans tous les cas de figures, l'énorme logistique qu'impliquent de telles opérations passe par la maîtrise de l'Atlantique.
A défaut de pouvoir engager à fond une flotte de surface suffisante, l'Allemagne a décidé de mener une guerre sous-marine pour couper les communications de l'Angleterre et porter un coup fatal à la production de guerre américaine. Plus de 10 000 U-Boote sont construits durant la guerre et permettent l'attaque des convois par des meutes. Jusqu'au début de l'année 1943, ce choix stratégique et tactique réussit pleinement et inflige aux convois alliés d'énormes pertes.
Cependant, la tactique de grands convois protégés eux aussi par des meutes d'escorteurs, et même par un porte-avion, l'emploi d'un radar sonore capable de détecter les sous-marins, permettent de lutter avec un succès croissant contre les U-Boote. Ainsi, de mai à juillet 1943, les escadres alliées coulent un sous-marin par jour. La bataille de l'Atlantique est gagnée.
D'autre part, en dépit des demandes insistantes de Staline qui réclame l'ouverture d'un second front en Europe de l'Ouest, c'est finalement la doctrine britannique qui l'emporte avec le choix de la stratégie périphérique en Afrique du Nord. En effet, au début de 1942, la situation y est devenue désespérée après la défaite anglaise de Tobrouk qui avait ouvert à Rommel et aux Allemands la route de l'égypte et du Canal de Suez. Après une contre-offensive britannique, l'Afrikakorps repart à l'offensive en mai 1942. La résistance des Français libres à Bir Hakeim permet aux Britanniques de battre en retraite vers El-Alamein et d'y préparer la contre-offensive victorieuse d'octobre 1942. En dépit d'une victoire chèrement acquise, elle marque le début du recul définitif des Allemands du Maréchal Rommel. à l'image des victoires de Midway et de Stalingrad, elle s'inscrit dans une année 1942 qui marque un tournant dans le sens de la guerre.
Dès lors, l'offensive de Montgomery visant à libérer la Libye peut commencer. Elle se combine avec le débarquement du 8 novembre 1942 au Maroc et en Algérie (opération Torch) sous le commandement du général Eisenhower. Désormais, les Italiens et l'Afrikakorps sont pris en tenaille. La Tunisie est investie dès le mois d'avril 1943. Tunis est pris le 7 mai, et le 12 mai, les troupes de l'Axe capitulent au cap Bon, et y laissent 280 000 prisonniers.
Plus tard, du 9 au 13 juillet 1943, le débarquement en Sicile entraîne la chute de Mussolini le 25 juillet dans une Italie de plus en plus hostile au fascisme et à l'allié nazi. Le premier débarquement en Italie du Sud, le 3 septembre, conduit d'ailleurs l'armée italienne à capituler secrètement le même jour. Les Allemands, sous le commandement du maréchal Kesserling neutralisent aussitôt les forces italiennes et organisent eux-mêmes la défense de la péninsule. C'est une longue guerre retardatrice qui débute, qui dure tout l'hiver 1943-1944 et qui culmine au Monte Cassino de janvier à mai 1944. Les américains entrent dans Rome le 4 juin 1944 mais le Nord de l'Italie, la Plaine du Pô en particulier demeure aux mains des Allemands jusqu'au printemps 1945.
Télécharger les pages (3) (pdf)