Jours de libération - Jours liégeois de libération - Des massacres et des représailles, d'Oradour-sur-Glane à Hody et Forêt…
3 septembre, en soirée. Les trois divisions du VIIe Corps du Général Collins (1re Armée du Général Hodges) sont déployées sur un front qui s'étend de Mons au sud de Charleroi... Recevant des instructions générales pour progresser vers l'Est, en passant par Liège et Aix-la-Chapelle, le Général Collins ordonne l'établissement d'une tête de pont sur la rive droite de la Meuse, près de Dinant.
Contrairement aux prévisions, la 9e division d'infanterie, chargée d'établir ce plan, se heurte à une résistance accrue des Allemands le long de la Meuse entre Givet et Namur. Premier coup d'arrêt donné par les Allemands, à Dinant, première tentative de défendre une voie d'eau, depuis la Seine… La réaction de l'ennemi est telle que les Américains sont incapables de renforcer les têtes de ponts y établies et d'installer les ponts nécessaires au passage de véhicules de combat et des approvisionnements.
La 3e division blindée et la 2e division d'infanterie se trouvent au voisinage de Mons, tandis que la 9e division d'infanterie est à Philippeville. La division blindée est immobilisée à Mons durant 24 heures par suite d'une pénurie de carburant, mais fait 25000 prisonniers allemands. Le réapprovisionnement est assuré et la division commence, le 4 septembre, un mouvement de 40 miles en direction de Namur. Les tanks progressent sur les deux rives de la Sambre. L'infanterie traverse la Meuse sur un pont endommagé et disperse la faible force allemande qui défendait Namur. Trois jours plus tard, les blindés franchissent le fleuve sur un pont de bateaux. Après un nouvel arrêt dû au manque de carburant, la division blindée avance en longeant la Meuse et atteint bientôt Huy dans la soirée du 6 septembre. Au départ de cette ville, la 3e division blindée, commandée par le général Rose, se déploie via un Combat Command A le long de la rive gauche de la Meuse et un Combat Command de réserve qui est divisé en trois task forces (forces de combat). Le Combat Command B évite la région industrielle de Seraing et poursuit ses attaques en direction du Condroz. Ainsi, la task force Lovelady passe par les communes et les villages de Yernée, Saint-Séverin, Rotheux, Neuville-en-Condroz, Plainevaux, avant d'atteindre Tilff le soir du 7 septembre. La deuxième task force King est envoyée du côté de Dinant, tandis que la troisième task force se dirige vers Nandrin en bifurquant en direction de Limont. Esneux n'est atteint que le 9 septembre.
Par ailleurs, du côté de Dinant, en soirée, à la vue d'une colonne de chars non encore identifiée, un commandant de compagnie américain s'exclame : Nous sommes aujourd'hui les gens les plus heureux de l'US Army, ou bien nous allons nous retrouver Kaput. Et ils sont les plus heureux… Une colonne blindée, unité envoyée en renfort, a réussi à traverser le fleuve plus au Nord et brise rapidement la défense allemande. L'infanterie s'empare de Dinant le matin du 7 septembre et commence sa rapide avancée vers l'Est durant l'après-midi.
Liège constitue un objectif majeur de la stratégie américaine. La 3e Armée américaine a cet objectif à portée de main… La principale action offensive se développe à partir de la Hesbaye, en suivant l'itinéraire Wavre, Hannut, Waremme, Ans. Dans cette dernière localité, les blindés et les fantassins américains se regroupent sur une vaste étendue de terrain qui se situe entre la gare et le charbonnage de Bonne Fortune. Le 8 septembre, les chars, les véhicules, les tentes s'y étendent à perte de vue.
Durant les premiers jours de septembre, la vie économique de Liège se met en veilleuse. Les magasins et les ateliers sont fermés, les transports en commun ne fonctionnent plus. Le palais des Princes-Evêques, siège de la Kommandantur, est entouré de chevaux de frise. Des soldats allemands occupent les fortins qui avaient été antérieurement édifiés aux principaux carrefours de la ville de Liège, comme au Pont d'Avroy ou place du Théâtre. Le théâtre du Gymnase est transformé en caserne. Les Liégeois sont à l'affût des dernières nouvelles transmises par la radio car l'armée américaine se rapproche de plus en plus.
Le matin du 6 septembre, on entend de temps à autre des tirs de mitrailleuse ainsi que des explosions. Aux sinistres sons des sirènes d'alertes, succède le bruit des bombardements lointains. Le 7 septembre, le son du canon se rapproche tandis que des avions survolent la ville à basse altitude. Les troupes allemandes se retirent progressivement de la ville. Les fortins du centre sont évacués. Cependant deux tanks sont encore postés près du Théâtre royal, tandis que des blindés légers patrouillent aux alentours. A 13 heures, une forte explosion retentit, c'est sans doute l'un des ponts de Liège qui saute, avant que les autres ne subissent le même sort. La distribution de gaz est interrompue. C'est bientôt le tour de l'électricité et enfin la coupure, définitive cellelà, du téléphone.
Le 7 septembre au matin, les Américains ont libéré Waremme. En fin de matinée, un véhicule de reconnaissance atteint Grâce-Berleur. Des combats s'engagent à Awans-Bierset. Au terril du charbonnage du Corbeau, qui domine Jemeppe, les Allemands ont installé une puissante base de défense aérienne équipée d'une douzaine de canons. A l'arrivée des Américains, cette base est utilisée à la manière d'un fort pour faire obstacle à leur progression. Mais les GI's appuyés par des chars, réduisent bientôt au silence la batterie allemande du Corbeau. Paul Godeaux raconte les dernières journées de l'occupation allemande et les jours de libération : Depuis la fin juillet, nous voyons passer l'armée allemande battant en retraite après la percée d'Avranches et la défaite de Falaise. Il s'agissait d'unités constituées, en particulier de blindés, qui après avoir passé le pont de Commerce, installé par les Allemands dès juin 1940, défilaient par la rue et le quai de la Boverie, juste en face du quai Orban où j'habitais. Dès le 5 ou le 6 septembre, le flot s'est tari. Il ne subsistait que des unités d'arrière-garde, peu nombreuses et les inévitables traînards. Depuis plusieurs jours, il n'était plus question de sortir de la maison (…). C'est dans la soirée du 7 que cela a vraiment changé : une intense préparation d'artillerie vers Rocourt, des explosions en ville, les ponts et probablement les attentats de Sainte-Marguerite et du Cadran et puis, vers 22 heures, la coupure du courant.
En effet, dans la foulée du combat de chars de Rocourt, les Américains arrivent en vue de Sainte-Marguerite où ils sont avertis que les Allemands font sauter des chars remplis d'explosifs pour retarder leur progression. Trois petits chars télécommandés sont dirigés chacun vers l'un des trois principaux carrefours du quartier. Liège, massacre du Cadran Les charges explosives qu'ils renferment sont mises à feu. C'est ainsi que sont détruits les carrefours de Fontainebleau, de Hocheporte et du Cadran. Au carrefour de Fontainebleau, le résultat est particulièrement effroyable. Parmi les habitants qui faisaient la file devant une boulangerie, 87 sont tués. Dans les trois cas, de nombreux immeubles sont détruits. En particulier à Hocheporte où le feu se propage rapidement, sans que, la distribution d'eau étant coupée, on puisse s'opposer à sa progression. Ces destructions ont pour but de faire obstacle au passage des véhicules adverses mais n'arrivent pas à freiner la pénétration des blindés américains.
Les Allemands occupent toujours la rive gauche et tirent régulièrement, notamment à partir du bunker installé place d'Italie. Vu que tous les ponts ont été minés, ce n'est que le lendemain matin, le 8, que la colonne dirigée par le Colonel Everett Boudinot arrive enfin à Liège via le quartier des Vennes, après être passée par Tilff et Chênée. Les deux colonnes américaines ont pris Liège en tenaille. C'est le 8 septembre aussi, à 4 h 30 du matin que des Allemands encore présents à Liège et réfugiés à la Chartreuse se rendent au char américain venu se poster devant l'entrée. Les derniers soldats ennemis ayant été éliminés du centre de la ville, les habitants peuvent enfin sortir de chez eux.
Certains d'entre eux peuvent ainsi voir et ovationner le bourgmestre Joseph Bologne qui vient de prendre ses fonctions à l'hôtel de ville cependant que le Gouverneur f.f. Joseph Leclercq fait son entrée au palais provincial. Le matin du 8 septembre, le spectacle qui s'offre aux Liégeois de la rive gauche est extraordinaire. Des unités de la 3e division blindée se déploient dans tout le centre de la ville. Par exemple, au boulevard d'Avroy, face à la statue de Charlemagne, des tanks sont en stationnement, protégés par l'observation aérienne et par les frondaisons des platanes. Les hommes et leurs équipages sont allongés à côté de leur char pour profiter d'un repos nécessaire après cette longue chevauchée à travers la Wallonie.
Place Saint-Lambert, c'est un autre spectacle. Les Liégeois se rassemblent en foule. Cependant, au milieu de la place, une longue trouée est vide de toute présence humaine car les Allemands, encore présents et combatifs sur la rive droite, peuvent tirer à tout moment dans la direction de la rue Léopold et atteindre la place SaintLambert. Les opérations militaires se poursuivent sans désemparer et les convois de blindés et de véhicules militaires de toutes espèces roulent en colonnes sur les grands axes qui traversent la Cité ardente.
Vendredi 8 septembre à midi, on se bat toujours à Liège. Si la rive gauche de la Meuse est libérée, il n'en va pas de même de la rive droite, où des troupes d'arrièregarde résistent toujours. Un groupe de ces soldats occupe un fortin (ou bunker) situé en bordure de Meuse, dans l'axe de la rue Grétry. Un autre groupe est installé près de l'église Saint-Thomas et tient sous son tir la rue Léopold. D'autres soldats allemands sont retranchés dans le grand building de la place d'Italie ainsi que dans des immeubles du quai Marcellis. Vers 17 heures, la rive droite est libérée par les Américains après qu'une batterie finit par détruire le fortin érigé pour défendre le pont Neuf, dans l'axe de la rue Grétry, que l'Armée de Libération et une équipe du Front de l'Indépendance délogent les Allemands place Delcour et ceux qui s'accrochent encore à l'intendance à Bressoux.
En amont de la Meuse, des chars Sherman, venus de la vallée de l'Ourthe, progressent le long du quai des Ardennes et déclenchent un combat de rues dans les coins de Fétinne et des Vennes. Puis la colonne blindée américaine continue sa progression le long du quai Mativa pour atteindre le jardin d'Acclimatation. Les deux rives de la Meuse étant libérées, l'armée américaine s'empresse alors d'établir un double pont de bateaux en face du parc de la Boverie. C'est ainsi que sont acheminés les approvisionnements nécessaires à la poursuite des opérations militaires en direction d'Aix-la-Chapelle. Liège, pont de bateaux en face du jardin d'acclimatation
Rire, danser, fêter son yankee, l'abreuver, l'embrasser, lui arracher des autographes, c'est bien légitime. Mais notre joie doit se mettre en veilleuse devant les terribles réalités. Et demain, il faudra travailler, reconstruire, lutter, faire face à de graves problèmes. (Georges Rem, La Wallonie, 11 septembre 1944)
Partout les mêmes scènes d'enthousiasme se produisent. Les drapeaux sont sortis. Les véhicules sont pris d'assaut. Les rues sont devenues dansantes. Jamais on n'a autant photographié. Les libérateurs sont acclamés. Cigarettes for papa and chocolate for mama …et chewing-gum et CocaCola pour les enfants ! C'est la découverte aussi des bas nylons, du lait en poudre et du cornedbeef en boîte. L'image du GI (ainsi dénommé d'après les initiales Government Issue imprimées sur son sac à dos) est double : il est à la fois combattant de la liberté mais aussi porteur des biens d'une Amérique qui fascine par la variété et la richesse de ses moyens au service de la guerre et du bien-être de ses soldats.
Pourtant la joie de septembre fait long feu et laisse place aux préoccupations… La pénurie alimentaire se poursuit. La situation économique est peu brillante. Les hommes manquent. L'incertitude politique règne et un climat passionnel accompagne l'épuration. Trois semaines à peine après la libération de la première ville belge, c'est déjà le désenchantement.
Dans les jours qui suivent le débarquement allié du 6 juin, les Allemands, en particulier la division SS Das Reich, excédée par les harcèlements de maquisards, exerce des représailles sur les populations. Dans le Sud-Ouest de la France, le 9 juin à Tulle, 100 civils sont pendus. Le lendemain, c'est le drame dans le petit village devenu tristement célèbre d'Oradour-surGlane. La population entière, soit 642 personnes, est massacrée. Des hommes sont fusillés dans les granges, des femmes et des enfants sont brûlés vifs dans l'église.
Dans notre province, dans les premiers jours du mois de septembre, des troupes allemandes en retraite sèment la terreur. Le 6 septembre, un massacre a lieu à Hody. Un témoin raconte : Le jour précédent cette arrivée libératrice (celle du 7 septembre), une voiture nazie, se déplaçant entre Ouffet et Hody aurait, selon les bruits qui ont alors couru, essuyé les tirs de résistants en patrouille, montés de la vallée de l'Ourthe. Deux officiers nazis auraient été tués et ridiculement laissés, sans plus, sur place. Trouvés peu après par leurs troupes, celles-ci se déchaînèrent sur Hody, premier village suivant, qu'elles martyrisèrent à titre de représailles. Des SS de la division Das Reich fusillent sommairement 15 civils, incendient presque tout le village et sèment la terreur.
Le même jour, le 6 septembre, entre 9 et 15 heures, une unité de l'armée allemande se rend coupable d'un crime de guerre particulièrement odieux, sur le territoire de la commune de Forêt (Trooz), à l'endroit dit château de Forêt et ferme Labeye. Des soldats de l'Armée Secrète (formée avec l'aide du gouvernement belge de Londres pour attaquer les arrières de l'ennemi lors de l'offensive allemande), qui s'étaient rendu après combat, sont massacrés, ainsi que des membres de la CroixRouge. Après le massacre, les Allemands brûlent les corps arrosés d'essence et incendient le château et la ferme. Le bilan est tragique : 5 tués au combat le 5 septembre, 33 le 6, 13 massacrés après la reddition, 65 prisonniers (bon nombre décèderont en déportation) dont 23 sont abattus au pont-barrage de l'île Monsin, soit 74 personnes.
Dans les vallées de l'Ourthe et de l'Amblève, le 9 septembre, les soldats américains s'emparent du pont d'Aywaille et implantent une petite tête de pont. Leur font face les Allemands de la division blindée Das Reich qui, en France, de juin à août, ont fusillé des centaines de civils. Le village de Harzé et son château servent de gîte d'étape aux Allemands en retraite. Alors que le plus clair de la population a fui le centre de l'entité et que la nuit tombe, les SS pénètrent dans les maisons et s'emparent de 41 hommes qu'ils enferment comme otages. Durant la nuit, les otages épient tous les bruits extérieurs, les claquements des mitrailleuses, les duels d'artillerie. Au petit matin, les otages voient monter dans le ciel des fumées d'incendie mais les SS se replient en arrachant 7 jeunes filles de leurs familles pour servir de boucliers vivants sur les véhicules allemands en retraite… Elles seront exécutées en cas d'échanges de coups de feu avec le maquis. Mais les Américains sont ravitaillés et s'emparent du carrefour fortifié de Werbomont tandis qu'autour de l'école, il ne reste plus que deux jeunes SS pour garder les otages. Une opération éclair est déclenchée et les Américains libèrent les otages. Dans l'après-midi, le village est en liesse et le pire a été évité.
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