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Comprendre et réfléchir - Sur les populismes et les nationalismes

Comprendre et réfléchir
partager sur Twitter partager sur Facebook   Publié le 02-09-2020

Gazette de guerre n° 5 - Nos libertés conquises

Sur les populismes et les nationalismes

Les populismes sont d'actualité, les nationalismes également. En Europe et dans le Monde, leurs résurgences et la montée en puissance des intégrismes enracinent le propos. Les médias, en démultipliant l'information, en orchestrant et en acclimatant l'adjectif populiste, ont achevé de convaincre les opinions, de moins en moins publiques, d'une omniprésence réelle du réflexe populiste. Voici donc désigné le spectre qui hante le XXIe siècle, dénoncée l'excroissance de nos propres démons ou encensé ce qui passe si souvent pour la seule défense, instinctive de communautés populaires en crise. Voici positivée à tout prix une forme du politique qui ne serait passible que l'adhésion aveugle ou la dénonciation vertueuse, authentifié un problème qu'on avait trop tendance à dessiner en creux.

Le populisme est un phénomène difficile à catégoriser. En près de 150 ans d'histoire il a pris des formes multiples. Cependant, une constante persiste : le populisme apparaît toujours en réaction à une crise politique, économique, sociale, identitaire et ou démocratique pour s'opposer à un modèle de société dominant qui ne satisfait pas le peuple.

Le terme populisme fait son apparition dans le dictionnaire français en 1929. Cependant, les premiers mouvements définis comme populistes remontent à la fin du XIXe siècle, notamment entre 1850 et 1880 dans l'empire russe, au moment où le tsar Alexandre II abolit le servage des moujiks (paysans qui représentent alors une large majorité de la population). On le trouve aussi en France, vers les années 1880, avec le Boulangisme, du nom de Georges Boulanger qui dénonce les divisons causées par l'alternance entre la gauche et la droite et l'immobilisme de la démocratie parlementaire dans un pays frappé par une crise économique persistante accompagnée d'un chômage de masse. On le trouve encore aux États-Unis, en 1892, avec le People's Party qui progresse dans un climat de révolte sociale et s'adresse aux agriculteurs, aux mineurs et aux classes défavorisées, avec un discours anti-élite et hostile aux grandes fortunes comme aux partis traditionnels.

Une deuxième vague populiste fait son apparition durant l'entre-deux-guerres, avec Mussolini (Italie, 1922) dans un contexte de crise économique, et avec Hitler qui devient Chancelier de la république de Weimar en 1933 dans un contexte similaire. Tous deux prônent une politique nationaliste et xénophobe aux accents sociaux. Cette deuxième vague se poursuit en Amérique latine dans les années 1930, alors que le continent est frappé par les répercussions de la crise économique de 1929. C'est l'arrivée au pouvoir de Juan Perón en Argentine, de José Maria Velsco Ibarra en équateur, de Víctor Raúl Haya de la Torre au Pérou et de Getulio Vargas au Brésil. Tous réaffirment une identité nationale forte pour lutter contre l'impérialisme américain.

La troisième vague de populisme au XXe siècle a lieu essentiellement en Afrique et en Asie, dans la foulée de la décolonisation. Les États retrouvent leur indépendance et tentent de se reconstruire sous forme de démocratie. Les jeunes et nouvelles institutions sont fébriles et paraissent illégitimes. Les partis politiques en présence manquent de crédibilité et leurs politiques sont inefficaces. Des leaders charismatiques populistes émergent alors en opposition au pouvoir récemment en place pour développer des politiques nationalistes avec un culte de la personne. C'est l'arrivée au pouvoir de Kwame Nkrumah au Ghana, d'Amhad Sukarno en Indonésie, Sékou Touré en Guinée ou Gamal Abdel Nasser en Egypte.

Une quatrième vague, de moindre ampleur, a lieu en Europe du Nord durant les trente glorieuses. Ces mouvements naissent de la révolte contre la mondialisation galopante. Ce sont des populismes ethnonationalistes, conservateurs et anti migration. Ils naissent en Suède (Reich nordique), en Finlande (parti rural finlandais), au Danemark (parti du Progrès) et en Norvège (parti du Progrès). En France, le poujadisme s'inscrit dans cette même vague durant les années cinquante.

En synthèse, ces mouvements issus de ces vagues regroupent des idéologies parfois très différentes, allant de l'extrême-gauche à l'extrême-droite. Malgré ces divergences, certaines similitudes peuvent être relevées. Ces mouvements apparaissent en période de crise politique, économique, sociale, démocratique et/ou identitaire. Ils se posent en défenseurs du peuple face aux élites. Ils sont dirigés par des leaders charismatiques, avec un culte du chef. Leurs leaders se hissent au pouvoir en prenant un virage autoritariste avant de s'effondrer avec une certaine violence.

Depuis lors, une cinquième vague de populisme commence dans les années 2000, dans la foulée des percées du Front national français dans les années 1980-1990. Depuis quelques années, nous assistons à une montée fulgurante des populismes, liée à la crise économique de 2008, à la mondialisation et à la délocalisation d'entreprises, à la migration et la perte de souveraineté des états qu'elle entraîne, mais aussi à la crise de notre système démocratique avec la perte de pouvoir des partis traditionnels face aux géants de la finance, aux multinationales et aux organisations internationales sans légitimité démocratique.

Il existe de nombreuses similitudes entre le populisme identitaire actuel et le populisme européen de l'entre-deux-guerres. D'abord, le contexte est comparable ; l'Occident traverse une crise identitaire et perd sa position économique et culturelle dominante face aux pays émergeants, tout comme l'Europe perd sa position dominante face aux états-Unis après la Première Guerre mondiale. Ensuite, la crise économique de 2008 a laissé des stigmates comparables à ceux de la crise de 1929. Enfin, on retrouve de nombreux points de convergence entre les discours fascistes des années 1930 et les discours des populistes identitaires, la peur de l'immigration, la diabolisation de minorités religieuses, la notion de peuple-nation uni contre le reste du monde, la tentation totalitariste…

Pour conclure, donnons la parole à l'historien Maurice Aghulon : Le populisme me paraît fournir d'abord l'occasion de poser le problème suivant : les historiens, quand ils veulent travailler avec quelque souci de généralisation et de conceptualisation, ne fabriquent pas les éléments de leur langage à partir de racines grecques et de concertations entre spécialistes, ils les empruntent au vocabulaire qui a cours dans la politique, la presse, l'opinion. (…) Les générations précédentes avaient offert le même spectacle autour de la notion de fascisme. Le mot était en pleine vogue il y a un demi-siècle, mais il n'y avait ni accord sur sa définition, ni sur l'étendue de son attribution, et les divergences entre historiens sur ces oppositions conceptuelles se laissaient rapprocher aussi aisément qu'aujourd'hui sur des différences de sensibilité politique. (…) On peut alors se demander si ce n'est pas cet état d'esprit qui a un peu contribué au succès du mot populisme. Car enfin il faut bien un mot pour désigner la famille des démagogues dangereux. (..) Qu'est-ce qui est nouveau : le mot ? ou la chose ? Si c'est le mot, on dira que populisme est la façon dont la mode de notre siècle finissant désigne l'objet historique que la mode du milieu du siècle aurait qualifié de fasciste. Si c'est la chose, on dira que le populisme n'est qu'une virtualité du fascisme, un sous-fascisme plus anodin et plus insidieux, une réalité en somme propre à notre temps, et à décrire comme telle.

Négationnisme et révisionnisme

Le négationnisme est une position idéologique qui consiste à nier l'existence des chambres à gaz utilisées dans les camps d'extermination. Le révisionnisme est sensiblement la même chose puisqu'il tend à minimiser le génocide des juifs par les nazis et prétendent réviser l'histoire, notamment nier l'existence des chambres à gaz et plus généralement à relativiser l'ampleur et l'atrocité de l'extermination des juifs. La nuance entre les termes sera apportée par l'historien français Henry Rousso en 1987 (voir ci-après).

En raison de sa nature, le génocide perpétré par le régime nazi contre les juifs a profondément marqué l'histoire contemporaine. La manifestation la plus paradoxale de cette empreinte est fournie par l'entreprise qui consiste à réfuter la réalité de ce génocide. Qualifiée de révisionniste par ses promoteurs à partir des années 1970 pour lui donner un semblant de scientificité, celle-ci est désignée à juste titre négationniste par les historiens.

Réactualisant une longue tradition antisémite de l'Occident, les négationnistes dénoncent un prétendu complot juif international qui aurait fabriqué de toutes pièces cette escroquerie du XXe siècle dans le but de justifier l'existence de l'État d'Israël et d'extorquer de scandaleuses réparations à une Allemagne innocente.

En France, le négationnisme a connu un développement particulier. En effet, deux de ses principaux précurseurs, Maurice Bardèche et Paul Rassinier, étaient français. En outre, l'histoire de sa diffusion est continue dès les années 1970, par une convergence de vues et d'actions entre des milieux d'extrême-droite et des personnes issues d'un milieu radicalement opposé, celui de groupuscules d'extrême-gauche.

Maurice Bardèche, écrivain et polémiste, est le premier, dans Nuremberg ou la Terre promise, ouvrage publié en 1948, à assimiler le génocide à une opération de propagande. Militant d'extrême-droite, il trouve un écho à ses théories chez un ancien déporté et homme de gauche, Paul Rassinier, lequel, dans Le Mensonge d'Ulysse (1950), développe des thèses similaires. Le négationnisme n'émerge toutefois médiatiquement qu'en 1978 avec la caution universitaire apportée par le professeur de littérature Robert Faurisson. Cependant, le phénomène n'est pas cantonné à la France et les thèses négationnistes ont des partisans dans toute l'Europe.

Dans son ouvrage Les assassins de la mémoire, Un Eichmann de papier et autres essais sur le révisionnisme, Pierre Vidal-Naquet expose les méthodes des négationnistes et des révisionnistes, illustrant le rapport trouble entre la posture hypercritique, les médias et la liberté d'expression. En se réclamant de l'histoire, au nom d'une démarche qui confine à l'hypercriticisme, les négationnistes dénaturent le principe même de la recherche historique, à savoir l'analyse de la critique des sources : il s'agit en effet de récuser tout document ou matériau historique en le présentant comme l'objet d'une manipulation. C'est une méthode en quatre points : ignorer documents et témoignages, postuler l'existence du grand complot, mettre en doute les faits et falsifier les preuves.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Maurice Rossel, le délégué à Berlin du Comité international de la Croix-Rouge se rend à Auschwitz, mais il ne voit rien… Rossel, personnification des yeux du monde extérieur sur un camp d'extermination en pleine activité, ne voit rien du camp, il n'a vu ni lueurs ni fumée, il n'a pas senti l'odeur, peut-être à cause de la direction du vent.Dans sa visite du ghetto de Theresienstadt, il voit ce qu'on lui a montré ; Je ne pouvais pas inventer des choses que je n'avais pas vues dit-il à Claude Lanzmann dans Un vivant qui passe.

Au-delà de la Shoah et du génocide juif, le négationnisme a aussi concerné le génocide des Arméniens, celui des Tsiganes, la famine en Ukraine en 1932-33, le deni culturel autour d'Hiroshima, l'épuration etnique en ex-Yougoslavie ou encore le massacre des Tustsis au Rwanda.

Le mot a lui-même une histoire. Jusqu'en 1987, on parle de révisionnisme pour désigner le courant de pensée qui conteste la réalité du génocide, comme précisé en début de ce texte. Le terme s'avère néanmoins équivoque, le révisionnisme étant déjà apparu dans un autre cadre, celui du procès Dreyfus et de la revendication d'une révision, par des partisans de l'innocence du capitaine Dreyfus. C'est l'historien français Henry Rousso qui forge, dans Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, le terme négationnisme. En effet, frappé par l'ambiguïté du terme révisionnisme, il choisit de distinguer clairement ce qui relève d'une démarche méthodologique légitime, c'est–à-dire la capacité de réviser des connaissances tenues pour acquises, et ce qui relève d'un discours idéologique, c'est-à-dire, la négation du génocide. Cette ambiguïté levée, le discours négationniste n'en demeure pas moins présent, dans les médias comme dans les tribunaux. Car les négationnistes ont fait l'objet de nombreux procès intentés par diverses associations ainsi que par des États.

Le négationnisme pose une question essentielle : faut-il intégrer, dans le droit public, des vérités historiques, au risque de heurter la liberté d'expression ?

C'est en jouant sur cet apparent paradoxe que le négationnisme a pu prospérer : à cet égard, la loi est généralement plus subtile et distingue ce qui relève de la réflexion historique (nécessairement libre) et ce qui relève de l'idéologie raciste, et donc condamnable. En France, une loi criminalise l'exposition publique des thèses négationnistes, décision confortée par la Cour européenne des droits de l'homme en 2003. De même, à l'échelle européenne, un projet de loi pénalisant le déni du génocide, déposé en 2007, se heurte toujours à la variété des conceptions de la liberté d'expression. Si la solution ne réside pas forcément dans les lois mémorielles, peut-être alors faut-il invoquer le devoir de mémoire, désormais présenté par la plupart des états comme une réponse plus efficace aux idéologies de haine.

Dans Esprit et esprit du temps, texte prophétique d'Hermann Broch prononcé en avril 1934, on lit : Un mépris singulier et même presque un dégoût du mot s'est emparé de l'humanité (…) Qui tue le mot et profane l'esprit (…) Lourdement le mutisme pèse sur le monde qui a perdu le langage et l'esprit parce qu'il a dû professer sa foi en la puissance et au meurtre, sans lequel il n'y a pas de puissance. Entre l'homme et l'homme, entre le groupe humain et le groupe humain règne le mutisme et c'est le mutisme du meurtre. La foi dans les mots s'effondre, le culte du fait prend sa place au nom du positivisme pervers lié au meurtre. Les témoignages sont disqualifiés, la littérature déniée, au nom de la seule réalité qui serait celle des faits : le négationnisme est ce bavardage nouveau, né du mutisme du meurtre. Il n'y a pas que la négation ; il y a aussi, plus subtilement, le déni et la dubitation. Dans le discours du déni, le fait est discutable et la liberté indiscutable. Là où la négation démontre qu'il y a production du faux, le déni fait la sourde oreille ou exprime ses doutes. Triple doute : si le premier est propre au mouvement critique de l'historien, il faut n'être dupe ni du doute cultivé pour ignorer le crime et son témoin, ni du doute simulé pour nier cette réalité.

Lectures officielles et officieuses, des histoires mouvementées

Partout dans le monde, la liberté du travail historique doit s'imposer par rapport aux vérités officielles émises par les états tendant à imposer un récit national qui serve leur besoin de légitimité et leur projet politique. La conservation et la liberté d'accès aux archives sont un enjeu citoyen de premier ordre. Mais, dans beaucoup de pays, des obstacles particuliers empêchent que des moments particulièrement problématiques de leur histoire nationale soient connus par leurs citoyens, afin de ne pas continuer à produire des effets dans leur présent et dans leur avenir.

Certains ont davantage de mal à regarder en face certaines pages de leur histoire. Ainsi, dans le discours de l'état turc d'aujourd'hui, les massacres des populations arméniennes dans l'Empire ottoman, puis la Turquie, sont niés, minimisés ou justifiés. Au Japon, le fait d'honorer, dans un espace parfois voué aux commémorations officielles, ses chefs militaires de la Seconde Guerre mondiale, tend à exonérer des crimes qui ont ponctué, dans les années 1930 et 1940, l'expansion impériale japonaise marquée par des crimes de guerre en Corée, en Chine et dans d'autres territoires d'Asie et du Pacifique.

Si la République fédérale d'Allemagne a mené, au lendemain de la chute du nazisme en 1945, un effort important de vérité et de justice pour la reconnaissance des crimes dont ce régime s'était rendu coupable, il n'en a pas été de même dans un autre état qui avait pourtant fait partie intégrante du troisième Reich d'Hitler, l'Autriche, ce qui y a favorisé la résurgence d'idéologies xénophobes et racistes.

En Russie, après la chute de l'Union soviétique, des associations de citoyens ont œuvré à documenter la répression exercée par le régime sur la société, et en particulier le poids de la police politique et l'ampleur du système concentrationnaire construit sous Staline. Mais après les années 2000, leur travail a été systématiquement entravé et le retour à un discours exaltant la grandeur nationale a fait l'impasse sur ces moments sombres et favorisé la réactivation de certains de ses mécanismes funestes.

Dans des pays comme les états baltes ou l'Ukraine, a été opportunément ravivée la mémoire de l'oppression nationale qui a été liée à leur rattachement à l'URSS, mais c'est au prix d'une occultation des collaborations avec l'expansion nazie qui ont conduit parfois certains de leurs citoyens à participer à l'entreprise génocidaire du Reich.

En Pologne, la mémoire de la violence toute particulière que le pays a subie de l'Allemagne nazie a légitimement resurgi après la guerre, et celle des crimes soviétiques commis en 1940-1941 dans sa partie orientale a émergé aussi après la chute du système communiste. Mais la reconnaissance de la complicité d'un certain nombre de Polonais avec les crimes antisémites des nazis et des massacres commis, après 1945, dans la Pologne libérée, pour s'opposer au retour dans leur village de juifs survivants de la Shoah fait problème. Les autorités officielles cherchent à s'opposer aux travaux historiques voulant aborder ces questions.

Le fait majeur dans l'histoire mondiale qu'a constitué, du XVIe au XXe siècle, la colonisation européenne du reste du monde, ponctuée, elle aussi, de massacres de masse et de crimes contre l'humanité, en particulier la traite et l'esclavage d'Africains dans l'Atlantique et l'océan Indien, n'a été que tardivement et partiellement reconnue par les puissances européennes qui s'en sont rendues coupables. Elles ont commencé, de manière très inégale, à l'intégrer à la mémoire collective de leur pays.

Et après...

Dans le catalogue de l'exposition Nos libertés retrouvées, intitulé La Mémoire, édité par la Province de Liège, en septembre 1994, l'historien Claude Gaier proposait une Réflexion sur les changements de l'après-guerre.

Le politique

La guerre avait pris fin en 1945, mais la paix n'avait pas éclaté. Contrairement au premier conflit mondial, la cessation des combats ne déboucha pas sur des perspectives de désarmement. Bien au contraire, la victoire, chèrement acquise, des Soviétiques sur le front de l'Est leur avait permis, d'une part, de satelliser les pays européens qu'ils venaient de libérer et d'occuper (les Démocraties populaires), d'autre part, d'intensifier leur emprise à l'échelle de la planète, soit dans les pays occidentaux, par le soutien qu'ils apportaient traditionnellement à leurs partisans idéologiques, soit dans les autres régions plus ou moins soumises aux puissances coloniales, où des mouvements d'émancipation se faisaient jour.

Tirant parti de leur contribution majeure à la chute du nazisme tant sur les champs de bataille que dans les mouvements de résistance, les Soviétiques jouirent dans l'immédiat après-guerre, d'un prestige autant que d'une force de persuasion diplomatique et militaire sans précédent.

Conscients de la menace que cette position représentait au niveau de l'équilibre mondial, et non moins désireux de tirer avantage de leur situation victorieuse, les Alliés durcirent eux aussi leur attitude à l'égard de la Russie. La bombe nucléaire, au début monopole des états-Unis, mais bientôt possédée également par l'Union soviétique, allait créer un véritable équilibre de la terreur, où le recours ultime à l'arme absolue apparaissait aux plus radicaux comme une façon rapide de terminer un conflit et aux autres, les plus nombreux, comme un instrument de dissuasion dont on se refusait à imaginer un usage qui ne pouvait être qu'apocalyptique.

Cette bipolarisation entre les deux blocs, pays dits du rideau de fer (expression popularisée par Winston Churchill) et du monde libre, allait se radicaliser de plus en plus au point de créer deux systèmes quasiment hermétiques, aux relations sans cesse conflictuelles.

Le deuxième phénomène politique majeur de l'après-guerre fut la décolonisation. Celle-ci s'alimente, certes, de mouvements autogènes qui, dans certains pays soumis à la tutelle européenne, n'avaient jamais tout à fait renoncé à se faire entendre, mais aussi d'influences extérieures qui furent accentuées, sinon engendrées, par la guerre.

D'emblée, l'annonce ou le spectacle des puissances occidentales empêtrées dans un conflit généralisé, voire forcées de battre en retraite devant la poussée prétendument libératrice d'un pays de race jaune, le Japon, avait entamé le prestige des colonisateurs. Ceux-ci, enclins à faire certaines concessions à leurs administrés d'Outre-Mer en raison des priorités que la guerre leur imposait et des sacrifices financiers que l'effort militaire leur avait coûtés, se trouvaient rapidement dans l'incapacité de faire face aux mouvements d'émancipation. A cet égard, le cas de l'Indonésie République autoproclamée dès 1945) est typique. En effet, la révolte contre les colonisateurs japonais, animée par Soekarno, fut appuyée par le Japon.
En outre, l'idéologie marxiste, correspondant plus ou moins aux conceptions des leaders indépendantistes, mais aussi diffusées à des fins anticapitalistes, donnait aux peuples en quête d'autonomie la caution d'une doctrine de portée universelle, en même temps qu'elle s'accompagnait du soutien plus ou moins déclaré de l'Union soviétique et bientôt de la Chine. Par ailleurs, les états-Unis, excipant des principes libertaires dont s'étaient autorisés, jadis, les pères fondateurs, tentèrent de reconquérir à leur tour l'accès aux débouchés et aux ressources des colonies européennes, tant pour des raisons économiques que pour contrer sur place la géostratégie, vraie ou supposée, du bloc de l'Est.

En moins de vingt ans, les immenses empires coloniaux que l'Europe s'était taillés, principalement en Afrique et en Asie, furent liquidés, cédant la place à une constellation de peuples arrachés à leurs lointaines racines, mais également éloignés du monde occidental que l'on avait tenté, à des degrés divers, de leur imposer. Les convulsions sanglantes, la démographie galopante, favorisée par l'apport régulateur des régimes coloniaux, et le sous-développement chronique de ce tiers-monde (expression qui remonte aux années cinquante), déstabilisé et convoité, allaient désormais faire partie du paysage de l'Histoire.

Ces jeunes états afro-asiatiques, représentés au sein des Nations Unies, tenterons dès lors d'y faire entendre leur voix et fréquemment, du moins au début, en tant que pays non alignés, c'est-à-dire résolus à garder leur liberté de décision par rapport aux deux grands blocs opposés. Cependant, dans les faits, leur faiblesse économique et militaire les contraindra à opter pour l'un ou l'autre camp, soit délibérément, soit sous la pression. Ainsi, loin de freiner la compétition Est-Ouest, ce tiers-monde ne fera qu'en attiser l'acuité. En outre, les puissances colonisatrices, en se retirant, abandonnèrent généralement à leur propre sort des amalgames politiques artificiels, en proie à des oppositions raciales et religieuses ancestrales, parfois encouragées par les anciennes métropoles afin de diviser pour régner. Le blanc-seing accordé, en tout état de cause, à ces vieux démons, allait engendrer des conflits sans fin qui presque toujours se prolongent aujourd'hui, donnant lieu aux plus hideux massacres de l'Histoire.

Les opérations militaires, le partage entre zones d'influence Est-Ouest et la décolonisation ont également engendré un phénomène démographique sans précédent, celui des personnes déplacées. C'est par millions que des individus ou des populations entières, partout sur la planète, ont dû partager l'existence précaire des réfugiés, chassés pour des raisons politiques, de leur habitat d'origine. 75 ans après la fin de la guerre, le drame des « displaced persons » reste lancinant, d'autant qu'à ces réfugiés politiques s'ajoutent le contingent sans cesse augmenté des réfugiés pour raisons économiques, venus d'un tiers-monde de sous-développement accru.

Un troisième facteur important fut la perte de la primauté de la Grande-Bretagne, jusqu'alors première puissance mondiale, en faveur des états-Unis, principaux triomphateurs de la World War II et qui ont joui durant des décennies d'une large supériorité économico-politique. Parallèlement, il était devenu de plus en plus clair que les nations, surtout petites et moyennes, ne pourraient plus, à l'avenir prétendre exercer leur souveraineté voire assurer leur défense sans la sauvegarde d'institutions internationales. Ces garanties, elles les cherchèrent dans l'Onu (Organisation des nations Unies), formule renouvelée de la défunte SDN (Société des Nations), et dans des alliances militaires obéissant au clivage Est-Ouest (OTAN, Organisation du traité de l'Atlantique Nord – Pacte de Varsovie).

La construction de l'Europe est née, elle aussi, des douleurs de la guerre. Son enfantement fut ardu, car on remonte difficilement l'histoire à contre-courant. La notion de supranationalité demeure, de nos jours encore, à l'heure de l'Union Européenne, parfois mal perçue, parfois mal reçue.

L'économique

Il fallait survivre à la guerre, puis reconstruire. Le monde s'y employa avec ardeur, surtout l'Europe et le Japon, les plus touchés par le désastre. Cette fois, les Alliés, et en particulier les ètats-Unis, voulurent, en aidant aussi les vaincus à se redresser, éviter les dangereuses frustrations que l'on avait jadis infligées aux perdants de 14-18. D'où le « miracle allemand » et celui des Nippons. Quant aux vainqueurs, ils travaillent d'arrache-pied à se relever et à restaurer leur économie. Le Plan Marshall (1947-1952) vint à leur secours, déversant à travers l'Atlantique matières premières, marchandises et moyens financiers, en partie sous forme de dons. Affirmation de la suprématie américaine certes, mais aussi acte de générosité dont les bénéficiaires furent nombreux.

Cinq ans après la guerre, l'Europe occidentale avait dépassé son niveau de productivité d'avant 1940. Elle entrait alors, à la suite, dans une période que l'on appellera plus tard les trente glorieuses, trente années qui amenèrent une prospérité matérielle sans précédent, basée sur la société dite de consommation, tendant vers le plein emploi, avec le mythe sous-jacent de la croissance continue.

Pour les Belges, l'Exposition universelle de Bruxelles, l'Expo 58 symbolisera la joie de vivre et l'opulence, avec en plus la découverte d'une irrésistible modernité et d'une société nouvelle, qui allait s'épanouir au cours des Golden Sixties.

A y regarder de plus près cependant, ces lendemains qui chantent portaient en eux de graves déséquilibres. Malgré tout, les schémas de pensée des dirigeants européens restaient marqués par l'avant-guerre et par les recettes éprouvées sur lesquelles on avait pu, naguère, miser avec succès. Le charbon et l'acier étaient du nombre. Or, une fois ces industries restaurées au prix d'efforts surhumains et d'investissements considérables, on eut tendance à les croire plus rentables, au moins socialement, et plus durables qu'elles ne l'étaient. En outre, on repartait à l'assaut des marchés avec un outil de production souvent vieilli, tout en ressentant vivement l'injustice du sort qui attribuait aux vaincus de la veille un équipement ultramoderne résultant d'une reconstruction à partir de rien.

Depuis longtemps, par contre, les États-Unis misaient déjà sur une stratégie économique et géopolitique du pétrole et, sans renoncer à l'industrie lourde, étaient portés par les technologies nouvelles à s'intéresser à des produits et à des activités de substitution. La perte du charbon, le déclin de l'acier et la disparition des colonies portèrent à l'Europe occidentale un coup très lourd, que la prospérité ambiante, surtout dans les années soixante, allait provisoirement occulter. Par ailleurs, une inflation considérable finit, à terme, par écarter les implantations industrielles américaines, venues d'abord féconder nos rives de l'Atlantique, en quête de main d'œuvre qualifiée et de bas salaires… Ultérieurement, on assisterait au reflux de ces branches d'Europe vers les états-Unis d'abord, puis sous des cieux encore plus lointains, bientôt suivi par l'expropriation des sociétés européennes elles-mêmes, en bref et à terme, tout le drame des délocalisations…

Le social

Suite au conflit mondial, la première urgence consista à restaurer la santé et le bien-être des populations. Celles-ci avaient souffert des pathologies que favorisaient la malnutrition, l'hygiène dégradée et la contagion résultant des déplacements massifs de troupes et de personnes. Il fallut rétablir les circuits de distribution de vivres et de médicaments, procéder à des importations massives et s'attaquer à des fléaux récurrents comme la tuberculose et le typhus, ou en dangereuse expansion comme la poliomyélite, dont les ravages s'étendirent au monde entier.

La social-démocratie fut, avec des nuances, le modèle que les nations d'Europe les plus favorisées s'efforcèrent de généraliser, en s'appuyant sur l'interventionnisme de l'État, notamment en matière d'assurance-chômage et d'assurance maladie-invalidité. Cette conception du Welfare-State i nspirée du modèle anglais, fut instaurée en Belgique dès 1944, faisant de notre pays un des plus avancés sur le plan social. L'arrêté-loi du 28 décembre 1944 (alors que la Bataille des Ardennes bat son plein) instaure un système de sécurité sociale pour les travailleurs salariés. Ce système reposait sur un certain consensus de départ entre le monde patronal et les milieux syndicaux, les premiers y voyant un espoir de créer une paix sociale. Il se révéla d'autant plus bénéfique que la conjoncture économique fut longtemps génératrice des ressources financières propres à l'alimenter confortablement.

Le système comporte cependant ses limites. Il est tout d'abord conçu comme provisoire. Ensuite, la protection sociale assurée est limitée aux salariés. Elle ne concerne ni les indépendants ni les agents des services publics. L'assurance libre subsiste parallèlement au nouveau système, dont la mise en place renforce simultanément le pluralisme institutionnel des mutualités. La misère continue à toucher des personnes sans travail rémunéré, qui émargent à l'assistance publique telle qu'elle est alors réglée par la loi du 10 mars 1925. Cette loi avait fusionné les anciens hospices civils et les anciens bureaux de bienfaisance et créé dans chaque commune une commission d'assistance publique dont l'action a un caractère palliatif.

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Georges Boulanger (1837-1981), général et homme politique frança
Jan Domingo Perón avec sa femme, Evita
José María Velasco Ibarra  reçoit Fidel Castro à Guayaquil
Víctor Raúl Haya de la Torre, homme politique péruvien
Fidel Castro et Salvador Allende
Gazette n° 5 - Comprendre et réfléchir (suite)
Sukarno (1901-1970), homme politique indonésien
Kwame Nkrumah, (1909-1972), homme d’État indépendantiste
Le CPP (Convention People’s Party) fondé par Kwame Nkrumah
 Ahmed Sékou Touré, Président de la République de Guinée
Soekarno ou Sukarno, fonda le parti national indonésien
Gazette n° 5 - Comprendre et réfléchir (suite 2)
Extrait d’une vidéo proposée par Conspiracy Watch
Extrait d’une vidéo proposée par Conspiracy Watch
A Auschwitz, on a gazé que les poux
La mémoire des poux
Gazette n° 5 - Comprendre et réfléchir (suite 3)
J'accuse d'Emile Zola
À droite, le commandant Alfred Dreyfus, réhabilité
Affiche revendicatrice apposée sur un mur de Paris, 2015
1863,  Louisiane cicatrices de flagellation sur un esclave
Gazette n° 5 - Comprendre et réfléchir (suite 4)
1960, négociation avec la France pour l'indépendance du Mali
Août 1961, l’URSS décide la construction du mur de Berlin
Les étapes de la décolonisation
La décolonisation d’avant 1945 à nos jours
Gazette n° 5 - Comprendre et réfléchir (suite 5)
Sigle de l'ONU
Affiche de l'Exposition universelle de Bruxelles
Réfugiés belges en 1914
Réfugiés de la guerre civile syrienne - 2015
Gazette n° 5 - Comprendre et réfléchir (suite 6)
La Croix-Rouge aide la population (alimentation, vêtements...)
Pub parue dans La Meuse après la Libération
L’American Way of Life
Une vision américaine de la grande distribution (1950)
Propagande Marxiste Léniniste
Manifestation dans le Borinage (1932) © CegeSoma