Musée de la Vie wallonne

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Focus

"Les Allumeurs de réverbères"

Allumeur de réverbères

En Wallonie, comme dans beaucoup d’autres endroits, Nouvel An rime avec étrennes...

Il s'agit là d'une coutume ancestrale qui prend des formes propres à chaque région.

L'origine des étrennes

La coutume des étrennes est une habitude païenne dont les origines remontent à l'époque romaine. Sous la République Romaine, le 1er janvier était l'occasion de fêter Janus, le dieu des passages. C'était également le début de l'année civile et la prise de fonction des nouveaux consuls. Le premier acte établi par ceux-ci était de consulter les augures pour savoir si l'année qui arrivait leur serait favorable. Aujourd'hui encore, une nouvelle année est le moment idéal pour des prédictions de toutes sortes.

La légende raconte que c'est Tatius, roi des Sabins, qui propagea l'usage des étrennes, après avoir reçu, à l'occasion du premier janvier, quelques branches coupées dans un bois consacré à la déesse de la force : Strenia. Dans un premier temps, les streniae avaient surtout valeur symbolique : quelques fruits étaient destinés à amener fertilité et santé, quelques monnaies sonnantes et trébuchantes pouvaient garantir la richesse matérielle du foyer.

Les coutumes du 1er janvier, fête pourtant païenne, se maintinrent malgré la christianisation de l'Europe, malgré les interdictions multiples et malgré le déplacement du début de l'année à la date de Noël ou à celle de Pâques. Il semble que les étrennes, contrairement à ce que l'on pense aujourd'hui, aient davantage été liées au premier janvier lui-même plutôt qu'à la célébration de l'an neuf.

Des étrennes professionnalisées

Au 4e siècle après Jésus-Christ, de nouveaux rites apparaissent. Chaque premier janvier, des cortèges populaires, souvent composés de personnes masquées, vont de maison en maison offrir leurs voeux en échange d'étrennes sonnantes et trébuchantes. Ces cortèges furent combattus par les chrétiens car ils réprouvaient leurs similitudes avec une forme de mendicité. Ces types de cortèges ont alors été remplacés par deux sortes de tournées bien distinctes. La première, dite tournée de quête, était souvent constituée d'enfants, d'adolescents ou de pauvres. Ceux-ci continuaient d'aller de maison en maison pour souhaiter leurs bons voeux en échange de quelques pièces ou de denrées alimentaires.

À l'heure actuelle, dans nos régions, cette tradition n'est plus du tout associée au premier de l'an. Elle a été transposée à d'autres fêtes calendaires : à l'Épiphanie autrefois, au Mardi-Gras ou plus récemment à la veille de la Toussaint, sous l'influence du Halloween américain. Le second type de tournée s'apparente plus à ce que l'on identifie aujourd'hui comme une tournée d'étrenne stricto sensu. La plupart du temps, ce sont des corps de métier au service de la population qui offrent un présent de leur composition (sous forme orale – chansonnettes, voeux – ou plus souvent sous forme écrite – almanachs, cartes, calendriers, chansons), qui leur sert d'alibi pour demander un pourboire en retour. Les corps de métier qui avaient l'autorisation tacite de réaliser ses tournées d'étrennes, étaient ceux qui, professionnellement, parcouraient toute l'année la ville pour rendre service aux citadins (éboueurs, vigiles, allumeurs de réverbères, etc.).

Une manifestation originale : les chansons des allumeurs de réverbères à Namur

Les allumeûs d'lampe namurois.

À Namur, parmi les nombreux groupes qui sillonnent les rues pour présenter leurs voeux, un corps de métier se distingue : les allumeurs de réverbères. Depuis 1705 déjà, à la faveur du gouverneur général des Pays-Bas de l'époque, on ordonne que soit installé un éclairage public dans toutes les grandes villes. Namur se voit donc affublée de lanternes en fer blanc et… d'un groupe d'allumeurs de réverbères. Cet éclairage répond à un besoin strictement militaire : en pleine guerre d'Espagne, les troupes et les gardes doivent circuler plus aisément. Lorsque la paix revient, les Namurois réclament le maintien de cet éclairage public et, finalement, l'installation de réverbères à huile puis au gaz assurent aux allumeurs un bel avenir.

À la recherche d'étrennes…

Comme tout corps de métier, les allumeurs partent en quête d'étrennes le premier janvier venu. Mais ceux-ci imaginent un présent plutôt sympathique pour leurs éclairés. Ils prennent pour habitude d'offrir une chanson en wallon. On ne sait pas exactement de quand date cette coutume, mais l'on peut aisément imaginer que les premières chansons étaient orales et certainement imaginées par les allumeurs de réverbères eux-mêmes.

On ne s'étonnera donc guère du choix du genre, car la chanson est extrêmement populaire et la reprise d'airs connus rend le texte déjà familier. Son caractère oral facilitait la compréhension pour le public mais aussi pour les chanteurs eux-mêmes, qui n'étaient pas souvent alphabétisés et qui récitaient leurs textes de mémoire. C'est également pour cette dernière raison que les textes sont en wallon. Langue courante, maternelle voire unique pour la plupart des gens du peuple, le wallon était nettement mieux maitrisé que le français. Seule une chanson wallonne pouvait être correctement mémorisée par les allumeurs.

Un public conquis

Dès le début du XIXe siècle, les allumeurs de réverbères offrent une version imprimée de leur chant annuel. Les égards portés par les « éclairés » à ce cadeau laissent penser qu'ils y accordaient une valeur toute particulière. En effet, de nombreux foyers namurois, mais aussi de nombreux spécialistes de la langue et de la littérature dialectales ont conservé précieusement les chansons annuelles. On ne peut guère invoquer la valeur symbolique que les Romains portaient aux étrennes de l'An pour justifier cette conservation. Il faudrait plutôt expliquer ce phénomène par la qualité du texte lui-même.

D'une part, les allumeurs de réverbères, dès le départ, ont voulu offrir un imprimé de belle facture, rehaussé d'une illustration qui permettait d'identifier le texte et qui donnaità l'ensemble un attrait esthétique. D'autre part, un nouveau texte était rédigé chaque année et l'on faisait appel à des auteurs de qualité, parfois même reconnus, ajoutant ainsi à la qualité esthétique la qualité stylistique.

Auteurs et textes de voeux des allumeurs de réverbères namurois.

Pour se fournir en auteurs de qualité, les allumeûs pouvaient compter sur la Société philanthropique Moncrabeau. Cette société namuroise, fondée en 1843, connut (et connait encore) un large succès grâce à son orchestre, dirigé par le célèbre chef d'orchestre aveugle Nicolas Bosret, et grâce à leur action pour le soutien financier des plus pauvres. Ce fut aussi un vrai vivier de chansonniers de terroirs. La plupart des auteurs de Moncrabeau se sont prêtés au jeu de la chanson d'allumeurs de réverbères : Charles Wérotte, Julien Colson, Alphonse et Jacques Godenne. Les poètes moncrabeautiens ont une verve souvent frondeuse et caustique, aiment la franchise et le naturel. On peut peut-être leur reprocher un manque de finesse stylistique, mais il ne faut pas oublier que leur objectif principal est d'amuser leurs concitoyens.

Les premiers textes, rédigés par Wérotte, sont plus traditionnels et enrobent les bons voeux de considérations simplistes sur la ville de Namur, sur le métier d'allumeurs de réverbères ou sur la difficulté de la vie. Mais, en faisant appel à Colson, spécialiste de la chanson d'actualité, on trouve dans les voeux des allumeurs l'occasion de s'amuser de ce qui se faisait à Namur, de tirer un bilan sur l'année écoulée en raillant ses concitoyens et les questions de société. Enfin, les frères Godenne, et spécialement Jacques, prolongeront cette veine satyrique pendant quelques décennies.

La fin des allumeurs de réverbères…

Cette charmante coutume disparait au début du XXe siècle. Le décès de Jacques Godenne, qui était alors à la fois l'auteur et l'imprimeur des textes, favorise cette disparition. De plus, la construction d'une centrale électrique et la mise en place d'un réseau de distribution à Namur dès 1907, poussent les allumeurs à changer de travail. Le corps professionnel s'éteint donc peu à peu avant de disparaitre définitivement en 1950 avec le remplacement des derniers réverbères au gaz. Malgré sa disparition, le personnage de l'allumeur de réverbères reste populaire. Le matériel dont il est affublé contribua à faire sa légende : un vélo qui le mène de réverbère en réverbère, une longue perche munie d'une lampe qui lui permettait d'allumer chaque lampe, une échelle qui lui permet d'effectuer l'entretien journalier. Comme il apporte la lumière, il est resté en haute estime de toutes les populations européennes.

Par ailleurs, l'habitude de présenter le bilan de l'année écoulée avec une pointe d'ironie, si elle a quitté la chanson dialectale, s'est bel et bien installée dans d'autres genres littéraires tout aussi populaires : la bande dessinée, avec les dessinateurs d'actualité, la presse ou encore le monde du spectacle, avec Sois Belge et tais-toi,Café Liégeois et d'autres pièces du genre.

B.F. - Responsable Département Bibliothèque et Fonds dialectal wallon



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