Musée de la Vie wallonne

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Focus

Aux urnes citoyennes !

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1831 - 2024 : des décennies de lutte...

La constitution de 1831, qui passe pour être l'une des plus libérale d'Europe, instaure un suffrage censitaire : seuls les citoyens s'acquittant du cens (correspondant à un certain montant d'impôts directs) peuvent disposer du droit de vote. Ce qui exclut d'emblée environ 99 % de la population. Quant aux femmes, elles sont purement et simplement évincées du système, même les plus fortunées !

Peu à peu, des voix commencent à s'élever contre cette réalité. Il s'agit principalement de femmes instruites, issues de la bourgeoisie progressiste des villes, telles Zoé Gatti de Gamond (1806-1854) ou sa fille, Isabelle Gatti de Gamond (1839-1905). Mais pour ces militantes féministes, l'émancipation des femmes doit passer par l'éducation, et donc, par un enseignement de qualité, qui rompt avec un système scolaire traditionnel dont l'objectif était de préparer les filles à être de bonnes épouses, de bonnes mères et de bonnes ménagères.

A la fin du 19ème siècle, de nombreuses associations féministes voient le jour. Quelques-unes considèrent l'octroi du droit de vote aux femmes comme le moyen d'accéder à leurs revendications (réforme du Code civil, égalité économique, lutte contre l'alcoolisme ou la prostitution…). Dans la foulée, sont notamment créées, au début du 20ème siècle, la Ligue catholique du Suffrage féminin (1912) ou encore la Fédération belge pour le Suffrage des Femmes (1913).

Les années précédant la Première Guerre mondiale sont marquées par les revendications en vue d'instaurer le suffrage universel masculin pur et simple. Les associations féministes souhaitent profiter de ces débats pour tenter d'intéresser la classe politique à la question du droit de vote des femmes.

La Première Guerre mondiale interrompt brutalement ces débats. Il faudra attendre la fin du conflit pour que ceux-ci soient relancés. Quant à l'extension du droit de vote aux femmes, il divise les partis. Le parti catholique n'accepte le suffrage masculin à 21 ans, qu'à condition d'inclure le vote des femmes. Quant aux socialistes et aux libéraux, ils y sont opposés, de crainte que la religion n'influence les femmes dans leur choix électoral. Finalement, un compromis est trouvé en 1919 pour les élections législatives (loi du 9 mai 1919, parue au Moniteur les 12 et 13 mais 1919) : le suffrage universel pur et simple est accordé à chaque citoyen belge à partir de 21 ans. Et quelques catégories de femmes disposent désormais du droit de vote : il s'agit des veuves non remariées de soldats morts lors du conflit ou de citoyens belges fusillés, des mères veuves s'il s'agit de soldats célibataires ou des femmes ayant été emprisonnées par les Allemands pour raison de patriotisme.

Pour les élections communales, tous les Belges d'au moins 21 ans peuvent voter (loi du 15 avril 1920, parue au Moniteur le 18 avril 1920). Ce qui inclut les femmes, à l'exception des prostituées et des femmes adultères. Lors des élections communales du 24 avril 1921, c'est ainsi plus de 2 millions de femmes, soit 51 % de l'électorat, qui peuvent désormais se rendre dans les isoloirs.

En ce qui concerne l'éligibilité, les femmes peuvent être élues à la Chambre des Représentant dès 1920 (loi du 15 novembre 1920, parue au Moniteur le 9 décembre 1920), à condition d'être Belge, d'habiter en Belgique, d'avoir au moins 25 ans, et de ne pas être déchue de ses droits politiques et civils. L'année suivante, les femmes peuvent devenir bourgmestre, échevin, secrétaire ou receveur communal, mais les épouses doivent, pour occuper le mayorat, obtenir l'autorisation de leur mari. De plus, si une femme devient bourgmestre, elle doit abandonner les compétences judiciaires et de police à un échevin masculin (loi du 27 août 1921, parue au Moniteur le 31 août 1921). A l'issue du scrutin, seules 196 femmes, dont 6 bourgmestres et 13 échevines, sont élues.

Au Parlement, le nombre d'élues reste particulièrement faible. La première sénatrice est Marie Spaak-Janson (fille de Paul Janson et la mère de Paul-Henri Spaak). Cooptée par le Parti ouvrier belge, elle prête serment le 28 décembre 1921. En 1929, Lucie Dejardin est la première élue directe à la Chambre. Elle se présente sur une liste socialiste à Liège.

Pendant l'entre-deux-guerres, les mouvement et associations féministes continuent à réclamer l'obtention du droit de vote pour les femmes. Ces associations mènent également des campagnes afin d'apprendre aux électrices à voter correctement, à les inciter à voter pour des femmes et à leur faire comprendre l'utilité de leur vote.

La dernière étape de cette longue marche vers l'octroi du droit de vote à toutes femmes reste à accomplir. Elle ne sera franchie qu'en 1948.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la question du suffrage féminin revient au sein des discussions. Deux propositions de loi sont déposées à la Chambre en 1945 : l'une, rédigée en 1939, par la communiste Alice Degeer-Adère, l'autre par le démocrate-chrétien Henry Carton de Wiart. Mais les discussions s'éternisent. Finalement, après nombre de débats, les femmes obtiennent enfin ce droit réclamé depuis tant d'années ! En conséquence, elles pourront désormais faire entendre leur voix lors de tous les suffrages. La loi du 27 mars 1948 (déposée au Moniteur le 22 avril 1948) stipule en effet que « les femmes sont admises au vote dans les mêmes conditions d'âge, de nationalité et de domicile (…) Les mots « du sexe masculin » figurant au deuxième alinéa de l'article 4 de la loi électorale communale sont supprimés ».

L'égalité politique est enfin accordée à l'ensemble des citoyens belges, qu'ils soient hommes ou femmes. Mais la Belgique est en retard par rapport à de nombreux pays, puisque ce droit élémentaire est déjà accordé aux femmes dans des pays tels que la Finlande (1906), la Norvège (1913), le Danemark (1915), l'Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni (1918), la France (1944) ou l'Italie (1945)…

Il aura donc fallu attendre de nombreuses décennies pour que les femmes ne soient plus considérées, d'un point de vue électoral, comme des citoyennes de seconde zone, incapables d'exprimer une opinion, d'émettre un avis, de représenter ses concitoyens ou de pouvoir effectuer un choix politique réfléchi.

Anne Stiernet

Responsable du centre de documentation et des Archives générales

Légendes

  1. Invitation de l'Union féminine à assister à une conférence portant, notamment, sur le droit de vote des femmes, 1920
  2. Tract de la Fédération belge pour le Suffrage des Femmes réclamant le droit de vote pour les femmes, 1920
  3. Prospectus des Libéraux-Unis pour les élections communales d'avril 1921 informant les femmes de l'organisation de séances destinées à leur apprendre à voter valablement, 1920
  4. Tract du Parti catholique pour les élections communales d'avril 1921
  5. Tract des Libéraux-Unis adressé aux électrices pour les élections communales d'avril 1921
  6. Convocation de la commune de Charneux adressée à une électrice pour le scrutin communal d'avril 1921
  7. Convocation de la commune de Bressoux adressée à une électrice pour le scrutin communal d'avril 1921
  8. Tract appelant les femmes à voter pour le parti communiste aux élections communales de 1938
  9. Billet de Marie Spaak-Janson paru dans Le Monde du Travail, juin 1949
  10. Billet de Georgette Ciselet, présidente de la fédération nationale des Femmes libérales, paru dans une édition spéciale de La Nouvelle Gazette, à l'occasion des élections législatives de juin 1949
  11. Lettre de Paul-Henri Spaak publiée dans une édition spéciale de La Femme Prévoyante, juin 1949
  12. Dessin paru dans L'Action Libérale, organe officiel de la fédération libérale de l'arrondissement de Liège, juin 1949
  13. Billet de Pierre Harmel paru dans un n° spécial de Temps Nouveaux, l'hebdomadaire du parti social-chrétien, 1949
  14. Agence Desarcy Robyns, Élections du 26 juin 1949.
  15. Agence Desarcy Robyns, Élections du 26 juin 1949.

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