En juillet 2021, notre pays a connu des inondations exceptionnelles. Le sud du pays a particulièrement été touché et la province de Liège a vécu une dévastation sans précédent.
Sans précédent ? S'il est malaisé de comparer les époques et les lieux, nous devons constater que les archives nous fournissent des images qui frappent par leur similitude avec celles de cet été. Le traitement médiatique, politique et photographique de ces phénomènes peut également nous renseigner sur la manière dont une société perçoit de tels évènements.
1740, 1850, 1880, 1926 : Liège sous eaux
Liège, construite sur une île, a connu un nombre impressionnant de crues. Pour preuve, il suffit de s'arrêter devant certains édifices de la Cité ardente pour apercevoir de discrets chronogrammes qui indiquent la date et le niveau de la crue.
Un des piliers de la cathédrale Saint-Paul renseigne qu'en 1740, il avait plus d'1,17 mètre d'eau dans l'édifice. Une inscription similaire se trouve dans le cloître de l'église Saint-Jean où on peut comparer les niveaux de 1740 et de 1926. L'église Saint-Denis comporte aussi un chronogramme qui renseigne le niveau d'eau en 1926. Récemment, dans le cadre des Plans de Gestion des Risques d'Inondation, la Direction des Cours d'Eau non navigables de Wallonie met à disposition, gratuitement, des plaquettes de repère de crue.
En 1880, Liège est « relativement » épargnée grâce aux premiers aménagements mis en place par les Ponts et Chaussées : surélévation des quais, dérivation et barrage de Fragnée. Après chaque crue, de nouveaux moyens sont déployés mais ils s'avèreront insuffisants. En effet, au-delà de travailler sur l'eau c'est sur le sol qu'il faut agir. À la suite d'une activité industrielle intensive pour ne pas dire sauvage, Liège s'apparente à un véritable gruyère. Les galeries de mine en fin d'exploitation ne sont pas remblayées ce qui crée des affaissements et des effondrements. Des zones se trouvent ainsi en-dessous du niveau de l'eau, ce qui ouvre la porte aux inondations. C'est pourquoi, à partir de 1928, l'Association intercommunale pour le démergement et l'épuration des communes de la province de Liège (AIDE) est créée. Des stations de pompages aspirent l'eau des plaines qui ne peuvent se déverser à cause des digues : c'est ce que l'on appelle le démergement.
S'il était nécessaire de le rappeler, on voit bien ici que c'est l'activité humaine qui est en partie la cause de ces phénomènes de grande ampleur, que ce soit notamment par la construction en zone inondable, la production de CO2 et la modification des sols par industrialisation. Cet état de fait nous amène aujourd'hui à ne plus tenter d'endiguer tant bien que mal comme cela a été fait auparavant mais à plutôt s'attaquer sans œillère à la cause du problème.
La dernière grande crue ?
Et donc, en janvier 1926, malgré les efforts réalisés pour contenir l'eau, Liège et sa grande agglomération sont submergés sous plus d'1m 50, voire à certains endroits, plus de 2 m. À cette époque, il pleut sans discontinuité depuis décembre, l'hiver est rigoureux et les plateaux sont bien enneigés. La fonte des neiges entraîne une montée des eaux qui piège de nombreux habitants.
Cette grande catastrophe à l'instar de celle que nous avons connue récemment, va toucher de plein fouet les plus démunis. La réalité socio-économique de l'époque est difficile et c'est le bassin industriel de Seraing, Tilleur et Ougrée qui paie le plus lourd tribut. Les logements sont parfois insalubres et les moyens de secours sont rudimentaires. Heureusement, l'aide s'organise tant bien que mal même si elle se manifeste sur fond de « guéguerre » politique entre le Secours ouvrier socialiste et l'Union civique catholique. Une solidarité informelle se manifeste : on fabrique des radeaux, ceux possédant une barque deviennent water-taxi, on apporte des vivres et du charbon. Des moyens de pompages se mettent en marche.
La gestion politique de la crise prend un ton communautaire lorsque les Flamands (aussi inondés, comme toute l'Europe) trouvent que trop d'aide est accordée à la Wallonie. Les Wallons reprochent à la Direction des Ponts et Chaussées dirigée par des Flamands d'avoir sous-investi en Wallonie…
Cette crue de 1926 était jusqu'à ce jour celle qui restait la plus vivace dans la mémoire des Liégeois : de nombreux reportages photographiques (dont ceux du Musée de la Vie wallonne) nous montrent des images de Liège inondée, sans vie, plongée dans la pénombre ou la brume de l'hiver. De rares habitants sont présents aux fenêtres à l'étage ; certains voguent à l'aide d'embarcation de fortune. Ces images ont été réalisées après la prise de la ville par les eaux et il s'en dégage une désolation presque tranquille voire bon-enfant. Elles contrastent avec les images plus récentes d'évacuation en panique ou de fureur des vagues déferlant sur les villages.
Par la suite, la région liégeoise a connu d'autres crues, notamment le 29 mai 1956, lorsqu'un violent orage engendre un véritable torrent qui dévale dans les rues de Dison et cause de graves inondations dans la localité. Les dégâts sont très importants et plusieurs personnes perdront la vie suite à cette catastrophe.
2021 : le déluge et après …
La catastrophe de 2021, personne ne pouvait l'imaginer et pourtant elle s'est bel et bien produite, quasiment en direct, sous nos yeux ébahis.
Le Musée a aussi apporté son aide à d'autres institutions muséales qui ont été durement frappées par le désastre. À un niveau supérieur, c'est toute la Province de Liège qui s'est mobilisée en apportant aux sinistrés du matériel, de l'aide administrative et des solutions de logement.
Les images diffusées par les médias captent le « climax » de la tragédie. Il est également nécessaire de documenter « l'après », notamment le traitement des « déchets » causés par la crue et qui sont en réalité des morceaux de vie des sinistrés.
Après un tel choc, c'est le rôle du Musée de la Vie wallonne de documenter le présent pour l'avenir. C'est pourquoi, les équipes du musée ont collecté des objets et des archives mais aussi réalisé des reportages photographiques en lien avec les inondations des 14, 15 et 16 juillet 2021. La patrimonialisation de cet évènement qui a profondément modifié notre paysage et marqué nos esprits fait partie de nos missions. « Notre institution garde cette ambition d'interroger le présent, de sélectionner ou de chercher les items que nous voulons transmettre aux générations futures et de pérenniser cette collecte dans la mesure des moyens mis à sa disposition. Ces témoignages sont le reflet de l'interaction de l'homme et de son milieu[1] ».
C'est dans ce cadre que le musée a lancé une grande collecte d'items en lien avec la transition écologique au sens large. Les grands thèmes écologiques (biodiversité, changement climatique, commerce local, réemploi, etc.) sont de plus en plus présents au sein de nos collections car ils reflètent la préoccupation grandissante de notre société envers cette thématique.
Que peut-on espérer pour l'avenir ? Le passé nous a démontré que l'Homme n'a que peu de prise sur ces éléments, voire qu'il les aggrave et les provoque dans sa tentative désespérée de soumettre la nature. Les solutions sont multiples, techniques, sociales et environnementales. Seront-elles suffisantes et mises en œuvre ? C'est l'avenir, et surtout celui de nos enfants, qui nous le dira.
Julie Degré, collaboratrice aux collections photographiques
[1] Quoilin Cécile, « Les collectes au Musée de la Vie wallonne : une vieille histoire toujours d'actualité ! », dans Chroniques des Amis du Musée de la Vie wallonne, 2021.
Références :
- CAMPUS F., TISON Léon-Jean, WALCKE E., WILLEMS G., « rapport V.15 Les travaux de protection de la région de Liège contre les inondations », in La prévision des crues et la protection contre les inondations. Dixièmes journées de l'hydraulique, Paris, 5, 6 et 7 juin 1968, t. 5, 1969.
- KEIMEUL Jean-Pierre, Les inondations de Liège de 1926, Les analyses de l'IHOES, N° 23, 2007.
- https://www.meteo.be/fr/infos/actualite/observations-historiques-dinondations
- https://www.aide.be/qui-sommes-nous/bref-historique
Légendes :
Si vous êtes en possession d'objets ou de documents en relation les inondations de juillet 2021, la problématique des déchets, n'hésitez pas à adresser vos propositions à l'adresse suivante : centrededocumentation@viewallonne.be