Hissez haut petits mousses !
C'est une longue carrière qu'a connue le costume marin. Au milieu du 19e siècle, il devient un incontournable de la garde-robe enfantine.
Avant cette époque, on se pose peu la question d'une mode appropriée à l'enfance. Elle n'est, jusqu'alors, qu'une réduction de celle des adultes, inconfortable et peu adaptée aux mouvements et à l'épanouissement du corps d'un enfant. Jusqu'aux premières décennies du 20e siècle, avant l'âge de 5 ou 6 ans, filles et garçons sont vêtus de la même robe unisexe permettant peu de les distinguer les uns des autres.
Lorsqu'ils grandissent, rien ne leur est épargné. Dans les peintures du 18e siècle, paniers et pantalons de lingerie, jabots de dentelle et perruques poudrées leur donnent l'apparence de personnes adultes de toute petite taille. Par bonheur, un vent de simplification et d'assouplissement venu d'Angleterre souffle alors sur la mode. Les enfants en seront les grands bénéficiaires.
Toutefois, même si, par la suite, les robes sont raccourcies, il leur arrive d'être encore affublées de tournures. Il faut attendre le tout début du 20e siècle pour que la médecine s'inquiète enfin des effets néfastes du corset sur le corps des enfants.
Cap sur un vêtement plus adéquat
Un signe ne trompe pas : la mode enfantine commence à faire son apparition dans les revues. C'est à la Belle Époque que les petites filles cessent véritablement d'être la copie conforme de leur mère. Une robe simplifiée et assouplie, que l'on fait blouser dans une large ceinture placée sur les hanches, finit par s'imposer. Quant aux garçons, il leur faut attendre l'âge de 6 ans pour pouvoir revêtir la culotte. Elle s'arrête sous le genou et se porte avec une veste.
Un costume de marin pour tous les moussaillons.
Le tout premier vêtement créé spécifiquement à l'usage des enfants, c'est le costume marin. Il fait rapidement figure de vedette en la matière. Cette idée de faire des enfants des gars de la marine est née de l'imagination de la Reine Victoria. En 1846, soucieuse d'afficher la fierté nationale de la marine britannique considérée alors comme la plus puissante au monde, elle fait revêtir au Prince de Galles, le futur Édouard VII alors âgé de 4 ans, un uniforme de matelot de la Royal Navy. C'est ainsi vêtu qu'il l'accompagne lors de ses croisières au large des îles anglo-normandes sur le yacht royal. Une façon, somme toute, de faire participer les plus jeunes au patriotisme si cher à la seconde moitié du 19e siècle.
Entendons-nous bien, il s'agit d'une simple tenue de matelot et non d'un uniforme d'officier. Charmant, n'est-il pas ? Immortalisé dans un célèbre portrait du peintre allemand Franz Xaver Winterhalter, celui que l'on surnommait Bertie ne se doutait certainement pas de l'engouement qu'allait rencontrer cette tenue à travers toutes les cours d'Europe. On en avait déjà connu les prémices au 18e siècle lorsque Marie-Antoinette, toujours à la pointe des innovations, habillait le premier dauphin d'un costume dit « à la matelot ». Il se composait, à l'image de celui des marins de l'époque, d'une blouse souple glissée dans un pantalon.
Après avoir enthousiasmé les familles régnantes à partir de 1850, la vogue du costume marin s'étend aux milieux aristocratiques, puis à la bourgeoisie. Il sera finalement adopté par tous mais comme tenue « habillée », portée le dimanche ou pour les occasions particulières. Ainsi, chez nous, il devient le costume traditionnel du lendemain de communion qui est encore un jour de fête. Et chez le photographe, filles et garçons prennent la pose en tenue de moussaillons, pour la plus grande fierté de leurs parents.
Galons, pompons et compagnie
On le reconnaît à son grand col carré le plus souvent bleu marine, garni de galons blancs, et à son pantalon à pont. Inventé au 18e siècle pour les marins, ce dernier est muni d'un pan recouvrant la braguette afin d'éviter que les boutons de celle-ci ne s'accrochent dans les cordages ou les mailles des filets. Une vareuse dépourvue de boutons pour la même raison ou une veste portée sur un plastron rayé complète la tenue. Le pantalon long classique ou la culotte courte ne sont pas en reste. Chez les filles, la jupe plissée est de mise. Sur la tête, le béret souple à pompon ou le chapeau rond dit « Jean-Bart » à grand bord relevé et ruban flottant ne laisse aucun doute sur l'allusion faite.
Selon les saisons, il se décline en coton ou drap de laine, uni ou finement rayé. Il hisse pavillon blanc rehaussé de bleu marine, de rouge ou de noir. Une ancre de bateau brodée orne la manche ou le plastron. S'il connaît un franc succès au tout début du 20e siècle et dans les années 1920, il se fait plus rare dans les années 1930. Mais loin d'avoir complètement largué les amarres, il refait surface dans les années 1950. Aucun modèle vestimentaire propre aux enfants n'aura connu une durée de vie aussi longue.
Uniformes nippons
Petite digression loin de nos contrées wallonnes, figurez-vous qu'au Japon, le costume marin ou « sailor fuku » est devenu l'uniforme scolaire le plus emblématique des collégiennes et des lycéennes. C'est Élisabeth Lee, la principale de l'Université de Fukuoka qui l'y introduisit, en 1921, en raison de sa nostalgie pour celui qu'elle portait lors de ses études en Grande Bretagne.
Afin de briser le conformisme qu'il symbolise et afficher leur individualisme, certains jeunes lui apportent des modifications. Des gangs exclusivement féminins l'arborent dans des couleurs très voyantes. Il faut dire qu'au Japon, les uniformes scolaires font l'objet d'un fétichisme très prononcé. Et les mangas, ces bandes dessinées japonaises, se retrouvent envahis de jeunes filles aux yeux démesurés habillées de vareuses à col marin et jupes plissées.
La marine toujours sur le pont
Si le costume marin a aujourd'hui déserté le dressing de nos enfants, la marine est restée une importante source d'inspiration pour la mode. Ainsi, dans les années 1950 et 1960, le chapeau de marin en piqué de coton blanc se retrouve sur toutes les petites têtes blondes. Et s'il y en a bien une qui a traversé les époques, c'est la marinière à manches longues. À l'origine rayée bleu et blanc, en jersey de coton ou en laine, elle connaît toujours un grand succès. Adoptée d'abord par Gabrielle Chanel, elle devient un élément indétrônable de la mode. Picasso, le mime Marceau et Jean-Paul Gauthier en sont des inconditionnels. La marque Petit Bateau ne s'y trompe pas, elle qui la décline depuis de nombreuses années dans toutes les couleurs, pour petits et grands.
Alors, désuet le costume marin ou plutôt intemporel ?
Demandez ça à Donald Duck, lui qui, en vieux loup de mer, a traversé les décennies sans jamais y renoncer !
Vous pouvez découvrir ces pièces et bien d'autres costumes marins sur le catalogue en ligne du Musée (http://collections.viewallonne.be)
Bénédicte Lamine, Collaboratrice au département Objets-Réserves (textile)
Légendes des illustrations :