Une histoire parfois controversée !
Si on vous dit : « Y'a bon ! », il y a forte chance que vous complétiez cette assonance par « C'est Banania ! » En France, comme en Belgique, cette allitération devenue slogan et signalétique de la boisson chocolatée éponyme, a imprégné la mémoire collective depuis sa création en 1912. Le message de la marque, s'ouvrant notamment à une interprétation raciste, ne sera officiellement interdit sur les boîtes du breuvage chocolaté qu'en 2011. En revanche, si sa représentation a été modifiée depuis plus d'un siècle, le « bienheureux » tirailleur sénégalais, en tenue de zouave, est toujours bien présent sur les boîtes !
Le cas « Banania » n'est pas unique dans l'histoire de la publicité en Occident. Et ce dernier suscite encore bien des débats et continue à soulever des polémiques ! Mais y-a-t-il un lien entre le chocolat et les signifiés qu'on lui a si souvent associés ? Les messages publicitaires étroitement liés au chocolat étaient-ils racistes ou « normalisés » et simplement en accord avec l'époque dans laquelle ils ont été émis ? Peut-on conclure que les stéréotypes ont la dent dure ? Tant de questions auxquelles il est parfois bien délicat de prétendre apporter des réponses à l'heure actuelle… L'histoire du chocolat apportera sans doute quelques esquisses de réponses.
La découverte du cacao…
Le cacaoyer (ou arbre à cabosses) dont est extrait le fruit qui donnera la poudre de cacao, symbole de prospérité, nécessite un climat chaud et humide ! Sa culture ne peut se développer que dans certaines régions. L'Amérique centrale est d'ailleurs considérée par les chercheurs, comme le berceau de cet arbre dont la fragilité en fait une denrée rare et précieuse.
« C'est lors du quatrième voyage de Christophe Colomb en 1502, que les Européens rencontrent pour la première fois – semble-t-il – le cacao […] Dix-sept ans plus tard, en 1519, Hernán Cortés débarque sur la côte mexicaine […] et entame la conquête fabuleuse du pays. Le conquistador fait mention du cacao dès sa première lettre-rapport à Charles Quint, en 1520 : le cacao est un fruit comme les amandes que les indigènes vendent moulues. Ils les tiennent en si grande valeur qu'elles sont traitées comme monnaie dans toute leur terre pour acheter toutes choses nécessaires sur les marchés et ailleurs[1]. »
L'historien espagnol Diego Duran (1537-1588), dans ses écrits, étaye ces propos en expliquant que la fève de cacao « […] devient une monnaie acceptée pour les règlements courants dans toute la Mésoamérique ; elle confère à qui en fait commerce le prestige à la fois de banquier et de négociant de luxe[2]. »
Breuvage précieux pour honorer les dieux
Chez les Mayas déjà « […] le cacao occupe une place de choix, tant dans le monde agricole que sacré […] il est associé aux offrandes funéraires des hauts dignitaires mayas et révèle ainsi son caractère précieux. […] les fèves de cacao s'imposent comme unité monétaire de référence. […] La présence du cacao dans une tombe de haut fonctionnaire nous éclaire sur la valeur et la considération dont il jouissait chez les Mayas »[3]. Les fèves de cacaoyer étaient également consommées sous forme d'une boisson très amère appelée tchocoatl. Les Toltèques (800 – 1100) étendront la culture du cacaoyer, également appelé « L'Arbre du Paradis », et voueront un culte inconditionnel au Dieu-Roi Quetzalcoatl (« Serpent à Plumes »).
Les Aztèques, dans le cadre d'un sacrifice, préparaient le précieux breuvage à base des graines considérées comme divines, avec de l'eau ayant servi à nettoyer des couteaux maculés de sang. Initialement, ces derniers étaient utilisés pour des sacrifices humains. Ils y mélangeaient la poudre du fruit pour constituer « la gourde de cacao ». Le précieux liquide devait étourdir le futur sacrifié (un esclave). L'élu finissait en offrande : son cœur offert à la divinité Quetzalcoatl et son corps, cuisiné et mangé !
Les vertus du cacao et les bienfaits du métissage culturel
La fève du cacaoyer a bien des vertus et les autochtones des différentes régions d'Amérique Centrale les connaissaient ! Chauffée, pillée, mélangée à d'autres produits naturels divers, elle se décline en poudre, en graisse, en baume et même en pommade ! Gonzalo Fernández de Oviedo y Valdés, historien espagnol (1478 – 1557) en témoigne dans ses récits : « […] au cours d'une de ses expéditions […] au Nicaragua, il guérit d'une grave blessure en enduisant celle-ci d'un baume de cacao reçu d'une esclave noire qui avait elle-même appris cette recette d'Indiens. On comprend donc à quel degré le cacao pouvait favoriser le métissage culturel entre les Blancs et les Indiens, fût-ce par le truchement d'esclaves africains[4]. »
Très rapidement, ces métissages ont également favorisé les échanges économiques et la vie dans des sociétés en pleine mutation. Les habitudes de consommation changent au profit des colons : le pulque, une boisson alcoolisée traditionnelle d'origine mésoaméricaine, côtoie désormais la bière espagnole et, le cacao, panacée des classes aisées, se popularise et se consomme par toutes les couches sociales. « Dans ce contexte donné, le cacao offrait une alternative bienvenue comme boisson non alcoolisée. En outre, il pouvait jouer un rôle dans une acculturation encore timide et promouvoir les relations entre les Indiens et les Espagnols.[5] »
Le marché du cacao
Au XVIIe siècle, l'Espagne et l'Italie, ainsi que les Pays-Bas dans une moindre mesure, seront les principaux exportateurs-consommateurs de cacao en provenance d'Amérique Latine. Les Espagnols détiennent le monopole du commerce du chocolat, le plaisir culinaire ultime, qu'ils définissent comme tel : « Le chocolat est une pâte sèche et assez lourde, pétries en de petits pains carrés ou en des rouleaux de l'épaisseur d'une main ou en des biscuits ronds, couleur brun rougeâtre et au parfum et au goût agréables et réconfortants[6]. »
La fabrication du chocolat répond à des critères stricts. Les graines de cacao sont mélangées à des épices qui, à dosages variables selon les fabricants, en déterminent le goût et le rendent si singulier. Les graines, à l'instar des épices, sont importées de divers pays (France, Portugal, Espagne et Hollande) et leurs colonies. « […] les Hollandais passaient en fraude du cacao en provenance du Venezuela par le Curaçao vers leurs ports d'attache, surtout vers Amsterdam. De là, on l'expédiait vers Anvers, Louvain, Nieuport, Ostende, Bruges…[7] » En 1840, à Anvers, la compagnie Berwaerts crée la première tablette de chocolat.
« L'économie du cacao dans le monde tropical subit trois grandes transformations entre les guerres napoléoniennes et la deuxième guerre mondiale. […] les quantités de fèves exportées augmentèrent d'une manière remarquable […] et […] les centres de production ne cessèrent de se déplacer, le nouveau monde finissant par céder la première place à l'ancien […] »[8] Les grands propriétaires européens sont remplacés par des petits planteurs du Tiers-Monde et la demande des pays industrialisés ne cesse d'augmenter !
La Belgique, pays du chocolat !
La Belgique s'immiscera réellement dans le marché du chocolat au XIXe siècle, lors de la colonisation du Congo dont elle exploitera les nombreuses ressources et notamment, la découverte d'un excédent de fèves de cacao… Plus tard, sous le règne du Roi Léopold III, le royaume devient alors le pays du cacao et du chocolat !
De nombreuses sources pointent des dates clés retraçant l'histoire du chocolat belge. Ainsi, Jean Neuhaus, d'origine suisse, aurait inventé la praline, premier chocolat avec un fourrage moelleux. En 1925, Charles Callebaut met au point le transport du chocolat liquide alors que 10 ans plus tard, la firme Jacques invente la barre de chocolat fourrée avec du praliné. Côte d'Or commercialisera la première pâte à tartiner en 1952 et acquiert sa notoriété grâce à l'Exposition Universelle de 1958, à Bruxelles[9].
L'invention du moule à chocolat « ouvragé »
La tablette de chocolat et ses variantes de goût, ainsi que ses fourrages divers, connaît un succès grandissant en Europe. Elle devient populaire et encourage de nombreux artisans à se lancer dans la grande aventure du chocolat. Les chocolatiers sont légion en Belgique et certaines villes comme Bruxelles, Verviers ou Liège en ont fait leur tradition. La concurrence est rude et il faut faire preuve de créativité, se renouveler en suivant les avancées technologiques.
Les plus chanceux se spécialisent dans la fantaisie créatrice du chocolat en le commercialisant pour les fêtes calendaires sous forme de figurines…« Les figurines en chocolat creuses sont fabriquées avec un chocolat dit « de couverture » parce qu'il recouvre uniquement la surface intérieure du moule […] ce chocolat doit être fluide et onctueux […] et broyé finement […][10] ».
Les broyeuses nécessaires à la confection des figurines apparaissent en Europe vers 1830. Elles permettent aux artisans de gagner du temps dans la malaxation de la pâte de cacao et de se spécialiser dans le chocolat de fantaisie.
Jean-Baptiste Létang fondera, à Paris, le premier atelier spécialisé dans la fabrication de ces moules de fantaisie (personnages et animaux) imitant de la porcelaine. Ces statuettes en fer-blanc, creuses et séparables en deux faces, exigeaient une manipulation délicate et plus complexe qu'il n'y paraissait… Néanmoins, « l'ère du chocolat à croquer avait démarré : tablettes souvent ornées d'un motif abstrait ou figuratif, ou animées de personnages humoristiques, bonbons en chocolat appelés pastilles, croquettes, napolitains ou pralines (en Belgique), figurines sculptées en ronde-bosse, destinées aux enfants[11]. »
[1] Collectif, Chocolat. De la boisson élitaire au bâton populaire. XVIe – XXe siècle, Exposition 23 février 1996 – 2 juin 1996, Bruxelles, Galerie CGER, 1996, p.30.
[2] Ibidem, p.27
[3] Ibidem, p.18.
[4] Ibidem, p.41.
[5] Ibidem, p.41.
[6] Ibidem, p.59.
[7] Ibidem, p.63.
[8] Ibidem, p. 107.
[9] Page Web : L'histoire du chocolat belge - Bravo Discovery fr
[10] Collectif, Chocolat. De la boisson élitaire au bâton populaire. XVIe – XXe siècle, Exposition 23 février 1996 – 2 juin 1996. Galerie CGER, Bruxelles, 1996, p.198.
[11] Ibidem, p.199
Jean-Michel STOCKEM, Collaborateur au département des Archives générales.
Légendes des illustrations :
1. Chocolatière en cuivre rouge, vers 1810.
2. Boîte à cacao Driessen, lithographiée de paysages hollandais, 1910-1928.
3. Lot de 3 moules métalliques ayant servi à la chocolaterie belge Jacques pour la fabrication de tablettes de chocolat, 1940-1985.
4. Chocolatière décorée de fleurettes jaunes. Objet publicitaire pour le Cacao Kwatta. 1965.
5. Boîte de cacao en poudre de la marque T. Antoine, vers 1930.
6. Moule en fer de marque Létang Fils. pour pralines en forme de palmettes, 1900-1950.
7. Emballage de chocolat « Crème Framboise », de la marque Aiglon, vers 1900.
8. Emballage de chocolat fourré à la banane de la chocolaterie Jacques, 1925-1950.