Musée de la Vie wallonne

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Focus

L'Aigle Noire

Enseigne en fonte provenant de l'hôtel de l'Aigle Noire à Liège, 18e siècle

Un hôtel hors du commun !

Deux enseignes pour un Hôtel

À Liège, une hostellerie dite « de l'Aigle » est érigée en Féronstrée, sur l'emplacement de l'hôtel particulier de la famille de Montjoie, détruit lors du sac de Charles le Téméraire en 1468. Au 17e siècle, le nom de l'établissement évolue en « Hôtel de l'Aigle Noire » et sa réputation ne fait que croître au fil du temps. Selon le récit d'un voyageur de la fin du 18e siècle, « la cuisine était de réputation européenne, on y buvait un Bourgogne délectable ! » C'est là que logent et festoient les plus hautes personnalités de l'Ancien Régime et du début du 19e siècle, comme les voyageurs anonymes, qu'ils se déplacent à pied, à cheval ou en voiture attelée. Il est vrai que l'hôtel est installé dans l'une des artères reines de la Cité, dans le quartier occupé par les ferronniers et autres marchands de fer. La ville de Liège, pour sa part, est idéalement située à la croisée des chemins entre la France, la Hollande et l'Allemagne et bordée d'une voie navigable, la Meuse.

L'enseigne de l'établissement est accrochée au balcon en fer forgé, surmontant la porte cochère, de l'imposante façade du 18e siècle, à sept travées. Il s'agit d'une lourde pièce en fonte noircie, coulée en bas-relief, silhouetté, représentant l'aigle bicéphale aux ailes déployées. En héraldique, le terme « aigle » est toujours du genre féminin. Figure symbolique depuis l'Empire romain, elle devient bicéphale lorsqu'elle est reprise comme emblème par le Saint-Empire romain de la Nation germanique.

Une seconde enseigne taillée dans la pierre, à l'iconographie identique est, quant à elle, insérée dans le mur de la façade latérale de la rue des Airs.

L'Aigle a rejoint son nid

Le Musée de la Vie wallonne qui conserve plus de 300 enseignes dont une trentaine en pierre, a le privilège de détenir ces deux vestiges d'un glorieux passé ! Et pourtant... L'aigle en fonte encore présent sur la façade en 1924 selon Théodore Gobert, disparaît mystérieusement. Ce n'est qu'en 1965 que l'enseigne resurgit de façon inespérée dans le parc du château de Rozon à Rendeux, propriété du Baron de Vivario dont la famille s'était portée acquéreuse de l'Hôtel de l'Aigle Noire vers 1840. Selon ses dernières volontés, elle est remise au musée afin d'en assurer la pérennité dans le quartier même qui l'a longtemps abritée.

La riche collection de photographies du Musée de la Vie wallonne recèle des documents inédits qui nous permettent, ici, de comprendre et surtout de visualiser l'ampleur de l'Hôtel de l'Aigle Noire. Une mission de sauvegarde dirigée par nos équipes révèle les décors intérieurs de l'établissement avant leur destruction en 1926 tandis qu'en 1968, l'emplacement exact de l'enseigne en pierre est fixé sur la pellicule avant d'importants travaux de rénovation. C'est probablement à cette période que l'enseigne lapidaire est confiée au musée. Sur la base de ces documents photographiques, on comprend également la portée de la façade principale de l'hôtel qui occupait l'emplacement des maisons actuelles des numéros 17, 19, 21, 23 en Féronstrée.

La traversée des siècles

En 1651, l'Hôtel de l'Aigle Noire appartient aux demoiselles Trappé ; il passe ensuite entre les mains de la famille Radoux en 1654, de Pier Boncher en 1689, de M. Mitié en 1736. Le propriétaire qui le détient dès 1740, George Alexandre Lampson sera enterré en 1761 dans la crypte de l'église Saint-Antoine selon les relevés effectués par le Professeur Jacques Stiennon dans les années 1960. En 1791, l'établissement est acheté par M. Falloise qui le cède rapidement à M. Monseur. Le Musée de la Vie wallonne conserve un portefeuille en cuir estampé au petit fer avec l'inscription « L. Monseur, fils, négociant à l'Hôtel de l'Aigle noir (sic) à Liège ». En 1823, Mme Guérin et Carlot Bronne se portent acquéreurs du bien. Ce dernier détenait déjà l'Hôtel de Hollande situé rue Sainte-Gangulphe. À sa mort survenue en 1851, l'immeuble est divisé en plusieurs maisons de commerce. L'ensemble immobilier est vendu en 1852 à Nicolas-Simon Vivario-Plondeur ; il reste dans la famille jusqu'en 1925, époque à laquelle il est cédé à Jean-Charles Séquaris. D'après les « réclames » imprimées dans le journal satirique illustré liégeois Tatène veuve Tchantchet en 1912, la famille Sequaris occupait déjà deux emplacements commerciaux sur l'ancien site de l'Hôtel de l'Aigle Noire ; l'un est consacré à la literie et l'autre aux voitures d'enfant.

Carlo Bronne : un écrivain d'histoire

Descendant direct du dernier propriétaire de l'Hôtel de l'Aigle Noire, Carlo Bronne (1901-1987) publie en 1954 un livre consacré à l'histoire de ce prestigieux établissement hôtelier. Magistrat à la ville, Carlo Bronne exerce également ses talents de poète, d'historien, de chroniqueur et de conteur. Il devient membre correspondant de l'Institut de France, membre de l'Académie de Langue et Littérature françaises de Belgique et sera anobli en 1976. En vingt-deux chapitres, comme autant de petits tableaux pittoresques et vivants, Carlo Bronne fait resurgir sous sa plume alerte les ombres des célébrités du passé qui ont séjourné à l'Hôtel de l'Aigle Noire. Il nous conte les anecdotes, nous dévoile les complots, nous chuchote les secrets d'alcôve ; il témoigne des rencontres diplomatiques discrètes et évoque les drames qui ont émaillé les quatre siècles d'activité de l'établissement.

Florilège

En 1577, Marguerite de Valois, la célèbre Reine Margot, se rend à Spa pour prendre les eaux. Son long et périlleux périple qui tient lieu également de mission diplomatique, la fait naviguer entre Namur et Liège. C'est là que sa jeune demoiselle d'honneur, Hélène de Tournon, éconduite à Namur par le Marquis de Varanbon, y meurt d'amour dans une maison en face de l'Aigle noire après huit jours d'agonie. Lors du cortège funèbre organisé de façon fastueuse dans les rues de la Cité, l'amant pris de remords découvre la tragédie. La défunte est déposée dans l'église des Mineurs, aujourd'hui Saint-Antoine. Shakespeare se serait inspiré de ce drame à l'acte V d'Hamlet (1598) lors des funérailles d'Ophélie.

C'est dans la cour de l'Hôtel de l'Aigle Noire, que sera dressée une chapelle ardente pour accueillir le cercueil de la reine mère Marie de Médicis, décédée en exil, sept mois auparavant, le 3 juillet 1642, à Cologne ; Richelieu s'opposant au retour de sa dépouille à Paris. Après une cérémonie funèbre à la Cathédrale Saint-Lambert, le corps rejoint Saint-Denis en remontant la Meuse depuis Huy sur une barque.

Le 2 mai 1815, lors d'un dîner organisé à l'Hôtel de l'Aigle Noire, le Maréchal prussien Blücher (1742-1819) est pris à parti par des soldats saxons révoltés. Craignant pour sa vie, il s'enfuit à cheval dans le dédale des ruelles de Liège, met pied à terre aux environs de la place Saint-Barthélemy et trouve refuge chez la plus jeune des vieilles demoiselles Demany, rue des Pourceaux (l'actuelle rue des Brasseurs). Sans cette intervention providentielle, Blücher et ses hommes n'auraient peut-être pas pu débouler en pleine bataille de Waterloo et prendre l'armée française par son flanc droit !

À quel fil ténu du destin tient l'Histoire...

Retrouvez une grande partie de notre collection d'enseignes sur notre catalogue ne ligne : http://collections.viewallonne.be/#/query/0a7c1cc2-be36-4450-8807-9c127beb27d5

Nadine de Rassenfosse, Collaboratrice au département Objets-Réserves (section œuvres d'art)

Bibliographie :

- Théodore Gobert, Liège à travers les âges. Les rues de Liège, Bruxelles, 1976, vol. 3, p. 33-38.

- « L'enseigne de l'Hôtel de l'Aigle Noire au Musée de la Vie wallonne », dans Chronique des Amis du Musée de la Vie Wallonne, décembre 1965.

- Carlo Bronne, Hôtel de l'Aigle Noire, éditions du Mont des Arts, Bruxelles, 1954.

Légendes :

1. Enseigne en fonte provenant de l'hôtel de l'Aigle Noire à Liège, 18e siècle.

2. Enseigne en pierre naturelle provenant de l'hôtel de l'Aigle Noire à Liège, 18e siècle.

3. 4. 5. 6. Ancien hôtel de l'Aigle Noire en Féronstrée à Liège, vues intérieures prises par L. Max avant sa démolition en 1926.

7. Enseigne en pierre sculptée de l'ancien hôtel de l'Aigle Noire en Féronstrée à Liège. Façade latérale de la rue des Airs, 1968.

8. Maison Sequaris, ancien hôtel de l'Aigle Noire en Féronstrée à Liège, 1968.

9. 10. Portefeuille en cuir à soufflets doublés de papier marbré, portant l'inscription dorée « L. Monseur, fils, négociant à l'hôtel de l'Aigle noir à Liège », 19e siècle.

11. Carte porcelaine de l'hôtel de l'Aigle noire, tenu par Carlot Bronne et situé rue Féronstrée, Liège, 1823-1851.

12. Réclames pour les magasins Sequaris situés sur l'emplacement de l'ancien hôtel de l'Aigle noire en Féronstrée à Liège, dans Tatène veuve Tchantchet, journal satirique illustré liégeois, 26 juillet au 1er août 1912.

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