Musée de la Vie wallonne

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Focus

Ave Natura - 1ère partie

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La Terre au centre de toutes les attentions !

Biodiversité, écotourisme, agriculture biologique, transition écologique, empreinte carbone, circuit court, énergie verte,… Pléthore de mots utilisés dans le cadre d'une rhétorique spécifique liée à l'écologie. Cette notion, vulgarisée par les médias, le monde politique, la classe scientifique et bien d'autres, trouve ses adeptes et ses opposants. Elle est aussi au centre des débats divisant la société plus que jamais !

Des origines supposées de l'écologie…

De nombreuses tentatives de définitions de l'écologie émergent depuis l'Antiquité !
Mais c'est à la presque fin du XIXe siècle qu'on peut trouver les soubresauts d'une acception « officielle » proposée par Ernst Haeckel, biologiste adepte et promoteur de la théorie de l'évolution darwiniste[1]. En 1866, le terme « écologie » désigne alors « l'étude des habitats naturels, des écosystèmes et de leurs habitants (les êtres vivants) »[2] Elle est alors considérée comme une science à part entière !

Cependant, dans le Hors-série de l'OBS de juin 2022[3], Eric Aeschimann et Pascal Riché, s'attardent sur les prémices écologiques émergeant dès l'Antiquité… L'écologie ou un principe de vie était un concept unique pour désigner « tout ce qui n'était pas humain ». Cette conceptualisation occidentale n'avait aucun équivalent en Orient, voire dans le reste du monde… Aussi, Aristote aurait été le premier philosophe à souligner l'altérité entre l'homme et les autres êtres naturels en opposant phusis (être naturel et racine étymologique grecque du physique) et technè (tout ce que l'homme fabrique). Notons que pour les Romains, phusis sera traduit en latin par natura

Bien des interprétations de théories diverses viendront étayer ou s'opposer aux propos susmentionnés. Pour exemple, la Bible semble inviter à plusieurs lectures de ses textes sur le sujet ! En résumé, « (…) le monde a été fait pour l'espèce humaine et lui appartient (…)» mais « ce dernier ne doit pas l'exploiter indûment, mais en prendre soin ! »[4] A ce titre, c'est saint François d'Assise qui aujourd'hui encore, est considéré comme un des instigateurs de « l'écologie » (bien que le terme en lui-même soit anachronique). Il aurait posé les bases d'une « théologie verte », en totale opposition avec la doctrine officielle… C'est également ce même François qui fonda en 1210 l'ordre mendiant des Frères mineurs, les Franciscains !

Des précurseurs et des engagés

Les « écologistes avant l'heure » ou du moins, « les consciences nouvelles et rebelles contre l'industrialisation galopante », sont nombreux et émanent des milieux les plus variés ! Ils évoquent déjà leur engagement à tout le moins en filigrane et, pour certains, sans équivoque.

En 1750, Jean-Jacques Rousseau, « l'homme de la nature et de la vérité », s'exprimera en ces termes : « Je (…) constate les immenses travaux de l'homme pour raser les montagnes, canaliser les fleuves, défricher les terres, assécher les marais et construire d'énormes bâtiments (…) » Rousseau « (…) déplore l'aveuglement de l'homme qui, pour nourrir son fol orgueil (…), le fait courir avec ardeur après toutes les misères (…) que la bienfaisante nature avait pris soin d'écarter de lui[5] ».

Déjà, ses écrits semblent préfigurer une conscience écologique bien avant l'heure lorsqu'il souligne que la nature ne nous veut aucun mal. Elle mérite de ce fait qu'on lui fasse confiance. Et d'ajouter que « (…) la nature nous tient un langage familier (…), il est important de l'écouter, même si nous avons désappris ce langage à force de vivre en société, où nous devons sans cesse nous distinguer des autres et à leurs dépens. »[6] Dans cette continuité, mais sous un angle empirique, Charles Darwin considère que « l'homme n'est qu'un compagnon de voyage pour les autres espèces dans l'odyssée de l'évolution. »[7].

Au XIXe siècle, l'économiste anglais John Stuart Mill prônait « une exploitation prudente de la terre ». Il mettait en garde contre l'accroissement continu de la richesse et la surexploitation des ressources naturelles non infinies ! A ce titre, en 1898, le savant suédois Svante Arrhenius établit et divulgue pour la première fois le principe du réchauffement lié à la combustion des énergies carbonées…

Ils furent nombreux à argumenter leurs pensées profondes et à se préoccuper du devenir de « Dame Nature ». A travers leurs écrits, leurs engagements personnels ou leur talent à communiquer et « vulgariser », et en rapport avec leurs occupations professionnelles ; l'épicurien Lucrèce, Léonard de Vinci, Montaigne, George Sand, Alfred de Musset, Charles Waterton et tant d'autres la placeront souvent au centre de leur réflexion. D'aucuns avancent également que la notion d'écologie en tant que telle serait le fait du botaniste Alexander von Humboldt, considéré comme un des premiers explorateurs scientifiques et père de la phytogéographie ou géographie botanique, science étudiant la répartition des végétaux tout en expliquant la cause de cette répartition sur le globe. L'année 1895, le botaniste danois Eugen Warming utilisera le terme « écologie » dans le titre de son ouvrage Plantesamfund, Grundtràk afden Ôkologiske Plantegeograji, lequel sera réédité et traduit en anglais en 1909 sous le titre The Oecology of Plants

Thoreau, Haeckel : « Les hommes et leur liens avec la nature »

Henry David Thoreau, écrivain, poète, naturaliste et philosophe américain, auteur de Walden, ou la Vie dans les Bois, en est un autre précurseur important ! Il reste à ce jour une source d'inspiration pour de nombreux écrivains, philosophes et cinéastes. « Walden » décrit cette expérience : « Le 4 juillet 1845 (…) il entame une expérience qui va transformer sa vie. Il passe sa nuit au bord d'un étang dans la petite cabane de pin qu'il a construite de ses mains depuis des mois. Elle (…) possède un âtre (…), un lit (…) une table et une chaise pour manger, lire et écrire. Devant, il a planté le potager qui assurera une partie de la subsistance. Le reste lui sera donné par la belle forêt qui l'entoure (…) Il y passera deux ans, à marcher, à travailler la terre, à observer les fourmis, les oiseaux ou les étoiles et à méditer sur le sens profond de nos existences ».[8]

Pris pour référence par de nombreux écologistes, « Walden » sera également critiqué par ses détracteurs ! D'un côté, on le reconnaît et le félicite pour le message qu'il véhicule : « un homme est riche de tout ce dont il peut se passer » ainsi que pour son engagement et pour ses aspirations écologiques dont il se fait l'écho… De l'autre, on lui reproche un certain individualisme parce que l'expérience de Thoreau repose sur l'isolement d'un individu et non sur une expérience collective ! Quoi qu'il en soit, « Walden » a marqué les esprits et le cinéma s'en inspirera, ouvertement, dans la réalisation de films de fiction tels que ‘All That Heaven Allows' (Tout ce que le Ciel Permet) de Douglas Sirk en 1955 et ‘Into The Wild' de Sean Penn, en 2008.

C'est aussi à cette même période que le biologiste/zoologiste Ernst Haeckel donnera à la notion d'écologie une dimension opposée à celle admise par ses contemporains. Pour lui, « l'écologie (…) est l'ensemble de la science des rapports de l'organisme avec le monde environnant[9] ». La notion d'écologie en tant que discipline scientifique semble relative à cette époque. Aux Etats-Unis, on traite davantage de la « Wilderness » ; littéralement, « la vie sauvage ». La notion est plus appropriée à l'histoire coloniale du Nouveau Monde dont les espaces, alors considérés comme vierges, (en réalité, façonnés par les Indiens d'Amérique !), ont été exploités à outrance après que les autochtones ont été décimés.

Pour exemple, les Parcs Nationaux de Yellowstone et de Yosémite ont été créés dès la seconde moitié du XIXe siècle dans un souci de protection de ce patrimoine… Toutefois, il semble que la préservation de la nature ait été le moteur des premières mobilisations environnementalistes un peu partout dans le monde.

Ainsi « naquit » la notion d'écosystème…

Dans la foulée des néologismes, « l'écosystème » rejoint le lexique écologique autour des années trente. La notion sera proposée par le biologiste britannique Arthur George Tansley qui le désigne comme « (…) la coexistence et la codépendance en un même lieu d'organismes vivants entre eux avec les sols, l'eau, l'atmosphère »[10].

L'après 1940-1945 regorge d'exemples d'auteurs littéraires marquant leur intérêt et prenant parti pour ce nouveau courant idéologique. Il y est surtout question d'observation et de témoignages contre l'industrialisation galopante, contre le pillage des ressources terrestres et de la dénonciation de la surexploitation ainsi que des pesticides utilisés à outrance et des nouvelles expériences menées sur l'environnement en faveur des terres agricoles tombant sous le joug des multinationales… On l'appelle déjà « l'écologie militante ».

Parallèlement en Europe, le dérèglement des cycles biotiques, la destruction des paysages ainsi que la maltraitance animale deviennent les thématiques de prédilection de toute une fraction politique plutôt progressiste. En Allemagne post-nazie aussi, un certain Günter Anders dénonçait le danger lié aux dérives de la technique, celle qui « (…) allait bientôt nous faire cesser d'être des hommes[11] ».

Les premières observations liées au « réchauffement climatique » !

S'il est un fait d'actualité qui mobilise l'opinion publique, ce sont assurément les inquiétudes liées aux conséquences dudit réchauffement climatique ! En 1906 déjà, le scientifique suédois Svante Arrhenius, Prix Nobel en 1903, « (…) comprend que les émissions de CO2 vont conduire à un réchauffement du climat (…) mais considère que c'est une bonne nouvelle pour l'humanité[12] » et d'ajouter « (…) il nous est permis d'espérer des périodes qui offriront au genre humain des températures plus égales et des conditions climatiques plus douces (…) qui (…) permettront au sol de produire des récoltes considérablement plus fortes (…)».[13]

Partiellement en adéquation avec les propos vulgarisés et partagés par une frange de la sphère scientifique contemporaine, Arrhenius est considéré comme un pionnier des sciences du climat à l'instar de son homologue français Joseph Fourier, qui mettra en évidence le phénomène dit « effet de serre »… Si certains de ces propos peuvent sembler loin de notre réalité, c'est parce qu'il faut tenir compte de la variation du paysage énergétique en perpétuelle mutation. L'industrialisation, l'utilisation des combustibles multiples et l'extraction des énergies fossiles ont accéléré le processus de cet effet de serre menant au réchauffement du climat avec les conséquences, aujourd'hui, énoncées.

Au terme de ces observations et de leur conséquences, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur la lenteur de la prise de conscience, fusse-t-elle universelle ou non. Il semblerait que « (…) une partie de la réponse est à trouver du côté de la puissance des industries pétrolières. L'intense travail du lobbying qu'elles ont mené à partir des années 1970 pour semer le doute, entretenir la controverse, et discréditer la parole des scientifiques et des écologistes a payé, et nous a fait perdre un temps fou (…) nous n'avons jamais rejeté autant de CO2 dans l'atmosphère aujourd'hui [2022, NDLR] ».[14] Nous dirigeons-nous vers un scénario à la « Soleil Vert [15]» ?

Jean-Michel Stockem, Collaborateur aux Archives générales du Musée de la Vie wallonne

Légendes des illustrations:

-         1. Affiche illustrée de P. Stas « Amblève Ourthe Meuse, Vallées de rêve », seconde moitié du 20e siècle.

-         2. Affiche illustrée de John Solie pour la sortie en salle du film d'anticipation et écologique « Soleil Vert de Richard Fleischer en 1973.

-         3. Balade en famille, à vélo, sur les bords des berges de l'Ourthe (le futur « Ravel ») à Esneux, vers 1900.

[1] Dans son ouvrage L'origine des Espèces publié le 24 novembre 1859, Charles Darwin présente sa théorie de l'évolution laquelle suggère que « toutes les espèces vivantes sont en perpétuelle transformation et subissent au fil du temps et des générations des modifications morphologiques comme génétiques. »

[2] https://youmatter.world/fr/definition/ecologie-definition/ (Consulté le 08/08/2022)

[3] Eric AESCHIMANN et Pascal RICHE, « De Dieu à Darwin (Des origines à 1866) », dans Hors-série OBS, n°111, Juin 2022, p. 9-10

[4] Ibidem

[5] Réforme [En ligne] https://www.reforme.net/opinions/2012/08/02/jean-jacques-rousseau-est-un-prophete-de-lecologie/ (Consulté le 11/08/2022)

[6] Paul AUDI « Sur les Pas de Rousseau » dans Hors-série OBS, n°111, Juin 2022, p.16-17

[7] Ibidem

[8] François REYNAERT, « Vivre Autrement - Dans la Forêt » dans Hors-série OBS, n°111, Juin 2022, p.18-19

[9] Eric AESCHIMANN et Pascal RICHE, « Le Temps des Alertes » dans Hors-série OBS, n°111, Juin 2022, p.21-23

[10] Ibidem

[11] Eric AESCHIMANN et Pascal RICHE, « Le Temps des Alertes » dans Hors-série OBS, n°111, Juin 2022, p.21-23

[12] Sébastien BILLARD, « Le Pionnier du Réchauffement » dans Hors-série OBS, n°111, Juin 2022, p.26-27

[13] Ibidem

[14] Ibidem

[15] Film américain d'anticipation, réalisé par Richard Fleischer et sorti en 1973. Il s'agit de l'adaptation libre du roman éponyme de Harry HARRISON, édité en 1966.

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