Musée de la Vie wallonne

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Focus

Le corset

Corset de fillette baleiné, dénommé

Une taille de guêpe

L'histoire de la mode féminine, c'est aussi celle de l'évolution des canons de la beauté. Mais la silhouette d'une dame ne s'accorde pas toujours avec les goûts de son époque. Alors, pour satisfaire aux caprices de la mode, une seule solution : recourir à des subterfuges. Rembourrer ici, affiner là, gommer ou mettre en avant certaines parties de son anatomie. Tout est possible.

Parmi les moyens utilisés, le corset n'est pas l'un des moindres. Destiné à affiner la taille, il se transforme au fil du temps, escamotant ou relevant tour à tour la poitrine.

Utilisé depuis la Renaissance, il fait partie durant des siècles de ces accessoires vestimentaires féminins incontournables.  

Les pérégrinations du corset

Sous l'influence des modes espagnoles, il apparait au 16e siècle sous le nom de basquine. Il est alors fabriqué en forte toile ou même, pour certains modèles, entièrement en métal. Par sa rigidité, il efface complètement les volumes du corps et contribue à faire de la femme un assemblage de formes géométriques. Imaginez un cône renversé pour le haut, un autre sur sa base pour le bas (le vertugadin, jupon raide soutenant la robe), le tout surmonté d'un cylindre engonçant le cou (la fraise).

Mais c'est au siècle suivant que naît celui que l'on considère véritablement comme l'ancêtre du corset. Le corps piqué est muni d'un busc en os, en bois ou en métal glissé sur le devant, au milieu du buste.

Heureusement, cet incommode accessoire gagne un peu de souplesse lorsqu'on a l'idée de le garnir de fanons de cétacé : ces lames cornées qui garnissent la mâchoire de l'animal, lui permettent de retenir les petits crustacés dont il se nourrit, tout en rejetant l'eau. Ceci explique pourquoi on donne le nom de « baleines » à ces tiges glissées dans les pièces de corsetterie. Avec l'industrialisation et l'apparition de la confection et d'une mode plus démocratique, les fanons seront, par la suite, remplacés par du métal.

Au 18e siècle, le corps à baleines garde sa forme conique. Mais n'escamotant plus la poitrine, il la fait désormais « pigeonner » dans le décolleté des courtisanes qui ne se privent pas d'étaler ainsi leurs charmes aux yeux de tous. Et ce n'est pas Louis XIV qui en appelle à plus de sagesse, lui que l'on accusera de pousser son entourage à toujours plus de frivolités, vestimentaires ou autres, dans le but de détourner leur attention de son pouvoir absolu. Le corps se lace alors sur le devant ou dans le dos et se garnit d'épaulettes et de basques découpées descendant sur les hanches. Il est masqué par une pièce d'estomac richement décorée, ornant le devant de la robe. Emprisonnées dans ce carcan qui leur permet à peine de respirer, affublées d'encombrants paniers et d'une coiffure monumentale couverte d'éléments décoratifs et de poudre, juchées sur d'instables talons bobines, on comprend que ces dames ont pour habitude de perdre l'équilibre ou de se pâmer à la moindre occasion.

Mais la Révolution va venir mettre de l'ordre dans ces dérives vestimentaires. À la fin de l'Ancien Régime déjà, une vague d'engouement pour la nature, soutenue par Jean-Jacques Rousseau, va faire tomber les paniers. Notre corset, quant à lui, suivra les têtes. Mais chassez-le, il revient au galop. Si la simplicité du costume antique et les silhouettes rectilignes ont d'abord la faveur, le Directoire et l'Empire rétablissent rapidement les excentricités vestimentaires. Libérée un bref moment de toute entrave, la femme se retrouve à nouveau emprisonnée dans un semblant de corset, sans baleines certes, prenant la forme d'une courte brassière en tissu élastique. Hélas, vers 1810, le corset à la Ninon rétablit les baleines.

Sous la Restauration, la tyrannie de la taille fine, accentuée par l'ampleur des robes et de leurs manches « en oreille d'éléphant », est à son comble. Les techniques de laçage et de délaçage nécessitent l'aide d'une femme de chambre ou d'un mari. On s'applique donc à les améliorer pour que la dame puisse le faire seule.

Et lorsqu'il se fait plus court et plus échancré sous une robe accentuant l'effet d'épaules tombantes pour répondre aux critères de beauté du Second Empire, il magnifie l'ampleur de la crinoline, ce sous-jupe ressemblant à une cage.

Durant la seconde moitié du 19e siècle, il donne à la silhouette une forme de sablier, étranglant la taille, s'évasant sur la poitrine et les hanches grâce à des goussets (pièces de tissus triangulaires).

Mais la Belle Époque lui fait cambrer exagérément le dos et projeter les fesses en arrière. La silhouette prend la forme d'un « S », surtout lorsqu'on ajoute une tournure, demi-cage baleinée, sur les reins. Et on ne peut s'empêcher de penser que rien n'aura été épargné au corps des femmes pour leur donner la forme que l'on souhaite.

Instrument de torture ou de coquetterie ?

Le corset du 19e siècle, celui auquel tout le monde pense et que l'on trouve principalement dans les collections du Musée de la Vie wallonne, est un objet de luxe et de coquetterie. Il est en coton ou en soie, brodé ou broché, garni de dentelle, d'entre-deux ornés de rubans colorés. Il représente un véritable enjeu économique, des milliers d'ouvrières travaillant à sa fabrication. Si au 18e siècle, sa haute technicité ne permettait d'en confier la fabrication qu'à des tailleurs masculins, la pudeur la réserve désormais aux femmes. Les industries du métal trouvent en lui une véritable opportunité : baleines, rivets de fixation et œillets dans lesquels sont enfilés les lacets sont en acier. Et même si on peut le trouver dans les grands magasins avec la démocratisation de la mode, il reste néanmoins assez coûteux.

Un fléau pour la gent féminine

Si le 19e siècle est véritablement l'âge d'or du corset, on commence tout de même à se poser des questions quant aux méfaits de ce diabolique sous-vêtement, d'autant que les fillettes, habillées comme leur mère, n'y échappe pas. En 1770 déjà, paraissait un ouvrage de Bonnaud intitulé La dégradation de l'espèce humaine par l'usage du corps à baleines. Par la suite, les hygiénistes, se contredisant à son sujet, le considèrent comme un soutien nécessaire à la vulnérabilité physique et morale des femmes et des enfants, tout en reconnaissant sa dangerosité pour le corps. Les médecins le voient comme une menace pour la santé. Le Docteur Debay dresse un sinistre tableau de statistiques alarmistes quant aux nombre de femmes et de jeunes filles succombant, à la suite du port du corset, à des maladies de poitrine, ou qu'une grossesse ou un accouchement mène à l'infirmité ou à la mort. On aura beau créer spécialement des corsets de grossesse à porter durant cette période. Des radiographies de femme corsetée démontrent l'écrasement des organes et une déformation des côtes et de la colonne.

« C'est assez » dit la baleine

Dès 1904, les suffragettes, féministes de la 1ère heure, montent au créneau contre cet instrument de torture. Mais rien n'y fait. Dès la puberté, une fille se doit de porter son premier corset. C'est alors que, devançant les revendications de la garçonne des années 1920, le couturier Paul Poiret réclame sa désaffection. La Première Guerre mondiale voit d'un très mauvais œil cette industrie du corset qui consomme autant d'acier. Une aubaine pour les femmes. La mode d'après conflit, longiligne et sans formes, l'abandonne au profit d'une ceinture aplatissant les hanches. Il finira par disparaître progressivement au profit d'une gaine de plus en plus élastique, modelant le corps de la taille au haut des cuisses. On a cru un instant à sa renaissance avec l'arrivée de la guêpière créée par Marcel Rochas en 1947 et le style New-Look inventé par Christian Dior dans les années 1950. Mais la femme des sixties refuse toute contrainte vestimentaire et réclame une mode libérée et unisexe.                                                                                                              

Aujourd'hui, le corset fait d'avantage partie de ces pièces de lingerie à connotation érotique, voire fétichiste. Il inspire de nombreux couturiers qui l'intègrent à leurs créations, non plus comme sous-vêtement. Mais sa disparition n'a nullement suscité celle de la dictature du corps et de son apparence.

Bénédicte Lamine, Collaboratrice au département Objets-Réserves (textile)

Légendes :

  1. Corset de fillette baleiné, dénommé "corps", en soie gansée, resserré par un lacet devant et dans le dos, 2e moitié du 18e siècle, N° inv 5028079
  2. Corset baleiné en toile de coton, garni de dentelle et d'entre-deux ornés d'un ruban de soie, faisant partie d'un lot de corsets provenant d'un commerce de la Rue Vivegnis à Liège, 1890-1910, N° inv 5057484
  3. Marque attestant de la présence de baleines naturelles sur un corset, 1890-1910, N° inv 505749
  4. Baleines en métal recouvertes de toile de coton, début du 20e siècle, n° inv 5028980
  5. Corset baleiné en toile de coton ajourée, bordé de dentelles et d'un entre-deux garni d'un ruban, 1890-1910, N° inv 5057491
  6. Corset baleiné en coutil de coton, garni d'un galon brodé, poitrine et taille munies de goussets, 1880-1890, N° inv 5011994
  7. Buste de couturière en forme de sablier dessinant une silhouette en « S », 2e moitié du 19e siècle, n° inv 5059124
  8. Corset baleiné en coton broché, garni de dentelle, vers 1900, N° inv 5026222
  9. Dos d'un corset baleiné garni d'œillets en acier servant à recevoir le lacet de serrage en coton, 1890-1910, N° inv 5057032
  10. Agrafe de fermeture et marque de corsetière en acier garnissant un corset en toile de coton, 1890-1910, N° inv 5057484
  11. Corset de fillette baleiné en toile de coton brodée et bordé d'un galon dentelé festonné, 1870-1890, N° inv 5020748
  12. Enseigne de la Maison Latour, corseterie autrefois située rue Pont d'Ile à Liège, N° inv 5035330
  13. Publicité pour la corseterie liégeoise Latour au dos d'un programme illustré de la revue "Liège Féerique" au Théâtre de Liège, 1906, N° inv 2002033
  14. Présentation d'une guêpière et de gaines lors d'un défilé de lingerie au Bon Marché à Liège le 28 mai 1963, Fonds Desarcy-Robyn. N° inv FDR 5085

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